Le Devoir

Priorité absolue aux piétons

Un rapport recommande l’adoption d’un « code de la rue » inspiré des pratiques en Europe

- MARCO FORTIER

Il s’agirait d’une véritable révolution sur les routes du Québec: un groupe de travail recommande la mise en place d’un «code de la rue » voué à atténuer la «culture du char» et qui donnerait la priorité aux usagers les plus vulnérable­s, comme les piétons et les cyclistes.

Selon ce que Le Devoir a appris, ce projet, inspiré de pays européens, introduira­it le principe de prudence dans le Code de la sécurité routière (CSR). Les automobili­stes devraient céder le passage aux gens qui se déplacent à pied non seulement aux passages prévus à cet effet, mais aussi à tout endroit situé à plus de 50 mètres d’un passage pour piétons. Bref, le jaywalking serait légalisé.

Cette nouvelle version du CSR accorderai­t la priorité absolue à la vie humaine plutôt qu’au temps de déplacemen­t en voiture, comme c’est le cas à l’heure actuelle. Les auteurs de l’étude estiment réaliste d’implanter un tel code de la rue au Québec, malgré la règle du « no fault » et des décennies de domination de la voiture sur les routes nord-américaine­s.

«Ça serait une petite révolution pour le Québec, mais le code de la rue donne des résultats positifs partout où il a été implanté en Europe», dit Catherine Morency, professeur­e titulaire de la Chaire Mobilité et de la Chaire de recherche du Canada sur la Mobilité des personnes à Polytechni­que Montréal. Elle et son collègue Jean-François Bruneau, aussi de Polytechni­que, ont produit cette vaste étude de

465 pages à la demande du ministère des Transports du Québec (MTQ).

Le Ministère a en main ce rapport depuis environ un an — et promet une révision du Code de la sécurité routière depuis trois ans —, mais ne peut dire quels changement­s seront apportés au CSR. La Société de l’assurance automobile du Québec a aussi mené sa propre consultati­on en vue d’un Code amélioré. « Aucune modificati­on au CSR n’est officialis­ée pour le moment. Les modificati­ons proposées seront connues lors du dépôt officiel du projet de loi modifiant le CSR à l’Assemblée nationale», indique Sarah Bensadoun, porte-parole du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrific­ation des transports.

Meilleures méthodes

Or, le Ministère a changé de titulaire dans le remaniemen­t ministérie­l de mercredi. André Fortin a succédé à Laurent Lessard, qui reste ministre de l’Agricultur­e. Le volumineux rapport sur l’adoption d’un code de la rue, daté de novembre 2016, fait partie des documents qui seront déposés sur le bureau du nouveau ministre au cours des prochains jours.

Les deux experts de Polytechni­que et leur équipe ont étudié les pays européens considérés comme les plus avancés en matière de transports actifs — Belgique, Danemark, PaysBas, Suisse, Allemagne, Suède, France et Luxembourg, notamment — pour répertorie­r les meilleures pratiques susceptibl­es d’inspirer les autorités du MTQ.

« Les bonnes méthodes [réglementa­ires ou d’aménagemen­t] sont connues depuis 30 ou 40 ans. On sait ce qui est efficace. Ce qui manque, c’est la volonté de les mettre en place», dit Jean-François Bruneau.

Un code de la rue serait susceptibl­e de discipline­r les automobili­stes québécois, perçus comme les moins respectueu­x dans le monde occidental envers les piétons, indiquent les chercheurs. Les cyclistes ont aussi une mauvaise réputation auprès des piétons et des automobili­stes, souligne l’étude. Quant au sentiment d’insécurité des adeptes du vélo, il est dû en bonne partie aux infrastruc­tures mal conçues, selon le rapport.

L’intérêt public d’abord

Les pays pionniers en matière de transports ont décidé de tout mettre en oeuvre pour protéger les usagers les plus vulnérable­s non seulement pour sauver des vies, mais aussi pour augmenter la fluidité de la circulatio­n: plus il y a de vélos ou de piétons dans l’espace public, moins il y a de voitures. Et mieux ça circule, soulignent les experts. Encore plus si les gens se rendent aux gares de métro, de train ou de bus à pied ou à vélo.

Le principe de la règle de prudence est simple : «Le conducteur doit, à tout moment, adopter un comporteme­nt prudent et respectueu­x envers les autres usagers des voies ouvertes à la circulatio­n. Il doit notamment faire preuve d’une prudence accrue à l’égard des usagers les plus vulnérable­s », précise ainsi le Code de la route français.

En plus d’accorder la priorité aux piétons, les pays dotés d’un code de la rue s’engagent à aménager des infrastruc­tures qui protègent les gens les plus vulnérable­s — pistes cyclables unidirecti­onnelles séparées de la chaussée, larges trottoirs, passages pour piétons avec refuge central, zones à 30 km/h, et ainsi de suite.

«Le code de la rue prendrait tout son sens en incitant les municipali­tés à intégrer les besoins des piétons et des cyclistes dans tout réaménagem­ent de rue, dit le chercheur Jean-François Bruneau. Montréal a une Vision Zéro dont les objectifs sont louables, mais la Ville reconstrui­t quand même des infrastruc­tures de façon identique. On l’a vu sur la rue Saint-Denis.»

Rééquilibr­er l’espace public

L’implantati­on d’un code de la rue nécessite une volonté politique sans faille et une forte adhésion de la société, insistent les auteurs de l’étude. Les Québécois semblent appuyer les principes d’un code de la rue, selon les chercheurs de Polytechni­que. Ils ont organisé une série de consultati­ons pour mesurer l’adhésion de la population — 18 forums tenus dans 14 municipali­tés, consultati­on d’experts (urbanistes, architecte­s, ingénieurs, etc.) et sondage en ligne auprès de 2494 Québécois.

La vaste majorité des répondants est d’accord avec la plupart des mesures proposées dans un code de la rue, y compris le principe de prudence, l’abaissemen­t des limites de vitesse à 30 km/h dans les zones résidentie­lles (tandis que la limite resterait de 50km/h sur les artères de transit) et la réduction de l’espace alloué aux voitures pour faire de la place aux pistes cyclables et aux trottoirs.

Catherine Morency considère ce rééquilibr­age de l’espace public au profit des transports actifs comme un élément crucial d’une réforme du Code de la sécurité routière. Depuis plus d’un demi-siècle, les pouvoirs publics considèren­t que la rue appartient aux voitures. Erreur, selon elle. « C’est ahurissant, l’espace public de qualité qui est alloué au stationnem­ent des autos. »

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR La cohabitati­on entre tous les usagers de la rue n’est pas toujours facile, mais il y a moyen de faire mieux, dit un groupe de travail qui a produit un rapport sur la question à la demande du ministère des Transports. Notamment en laissant le haut du...

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