Pour une réforme de la consultation québécoise sur les politiques publiques
Les politiques publiques visent essentiellement à résoudre un problème, à pallier une défaillance de marché ou à améliorer une situation donnée. Mais qu’est-ce qu’une bonne politique publique ? Tant dans le domaine de l’élaboration des politiques publiques (policy thinking) que dans celui de leur évaluation, un jeu de critères, faisant consensus chez les experts, répond à cette question. Une bonne politique publique, incluant la réglementation, est pertinente (vise la bonne cible), efficiente (atteint la cible au moindre coût) et applicable. Son avantage net, soit ses avantages moins ses inconvénients inévitables, est positif et supérieur à l’avantage net de la meilleure solution de rechange.
Il va de soi qu’une politique dont on n’escompte pas d’avantages nets pour la population n’a pas sa raison d’être. L’utilisation de ces critères requiert l’évaluation préalable des impacts de la politique, en termes quantitatifs ou qualitatifs, un travail spécialisé et de longue haleine.
Mécanismes
Le gouvernement dispose de l’éclairage fourni par ce jeu de critères. Ceux-ci sont commentés en substance dans les mémoires accompagnant les propositions de politiques soumises à son approbation. Ces mémoires comportent des rubriques statutaires rendant compte des exercices d’évaluation des impacts anticipés des projets sur les jeunes, les personnes en situation de pauvreté, les entreprises, les relations intergouvernementales, les régions, le budget, etc.
La prise de décision du Conseil des ministres, définitive ou à l’effet de déposer le projet à l’Assemblée nationale, est en outre alimentée par les avis produits par les ministères concernés par le projet à l’examen ainsi que par les recommandations des instances centrales que sont le ministère des Finances, le secrétariat du Conseil du trésor et les comités ministériels permanents de coordination.
La consultation finale des parties prenantes, et de la population en général au besoin, vient compléter, avant la prise de décision, le travail professionnel jusque-là largement effectué à l’interne au gouvernement.
Outre les livres verts et les livres blancs produits de façon occasionnelle, le gouvernement du Québec a établi deux mécanismes formels de consultation. Les grands enjeux de politiques publiques ainsi que les projets de loi et certains projets de règlement majeurs font l’objet d’une étude en commission parlementaire.
Les commissions sont ouvertes à tous ou se tiennent sur invitation. Les projets de règlement sont pour leur part publiés pour consultation dans la Gazette of ficielle du Québec, et ce, généralement pour une période de 45 jours.
Réforme nécessaire
Le Québec n’est pas en reste par rapport à d’autres gouvernements dans le monde, au regard de ses mécanismes de consultation sur les politiques publiques. Quel est le problème alors ? Pourquoi une réforme ? De quoi s’agirait-il ?
Précisons d’abord que les parties prenantes à un projet de politique publique ne disposent que d’informations parcellaires sur celui-ci. Les mémoires ont certes généralement une partie dite publique, mais celle-ci demeure difficile à obtenir en temps opportun. Les analyses d’impact réglementaires sont rendues publiques depuis maintenant quelques années, mais leur réalisation n’est exigée que dans le cas des réglementations affectant les entreprises. Les avis des ministères, les recommandations des instances centrales et les analyses et propositions des secrétariats rattachés à celles-ci sont quant à eux protégés pendant 25 ans en vertu de la Loi dite d’accès à l’information.
Ne disposant que de peu d’information, de peu d’expertise et de peu de temps pour analyser en profondeur une politique publique, les parties prenantes limitent habituellement leurs représentations à la défense de leurs intérêts propres.
Ce cadre d’analyse restreint nuit à l’efficacité ou au succès de ces représentations. Les parties prenantes peuvent ainsi difficilement développer un argumentaire complet et convaincant à l’encontre de la conclusion gouvernementale quant à l’avantage net d’un projet, seul critère véritablement discriminant pour les décideurs.
Utopie
Pour pallier cette inefficacité relative et éviter la démultiplication peu productive des efforts d’analyse, il est proposé, conformément à l’orientation en faveur de gouvernements ouverts et transparents, de «libérer la connaissance» gouvernementale sur les politiques publiques.
Plus précisément, la réforme proposée donnerait libre accès aux principaux résultats d’analyse globale des projets de politiques publiques : valeurs attribuées aux impacts relevés, risque grevant l’évaluation de ces impacts ou de chaînes d’impacts corrélés, analyses de sensibilité, conclusions quant aux critères de pertinence, d’efficience et d’applicabilité, mesures de mitigations retenues et écartées, solutions de rechange examinées, analyse comparative par rapport à d’autres administrations et conclusion générale sur l’avantage net du projet.
Outre qu’elle permettrait aux parties prenantes et à la population de préparer des représentations mieux structurées, quels seraient les avantages d’une telle réforme ?
Un dispositif de consultation fondé sur des données probantes rendues disponibles à tous aiderait les chercheurs et les médias à mieux jouer leur rôle. Il permettrait de mieux débusquer certains projets préparés à la hâte ou qui résultent de pressions corporatistes indues. Il en irait ainsi des politiques donnant suite à des promesses électorales insuffisamment réfléchies ou faites sous influence politique.
Le débat public mieux documenté, plus sain, soutiendrait l’acceptabilité sociale des politiques publiques et renforcerait le lien de confiance envers le gouvernement. Enfin, et surtout, la réforme favoriserait, avec le temps, la constitution d’un meilleur corpus de politiques publiques, guidé par la science et davantage porteur de satisfaction ou de bien-être pour la population.
Sans doute une utopie… pour certains. Mais espérons que pour d’autres l’idée mérite qu’on en évalue plus précisément les impacts.
Le débat public mieux documenté, plus sain, soutiendrait l’acceptabilité sociale des politiques publiques