Empreintes digitales et enquête à l’ONF
Employés et pigistes devront se soumettre à un resserrement des mesures de sécurité
Les directeurs, les employés et — bientôt — tous les collaborateurs de l’Office national du film (ONF) devront se soumettre à une enquête de crédit et fournir leurs empreintes digitales pour pouvoir travailler au sein de l’agence culturelle fédérale, a appris Le Devoir.
La semaine dernière, les employés de l’ONF ont été vus et informés de la mise en place d’un nouveau processus de filtrage de sécurité. Quelques jours plus tard, ils ont reçu par courriel la liste des endroits où ils doivent se rendre pour fournir leurs empreintes digitales, d’ici la fin du mois d’octobre.
Dans le message, des explications du genre «questions-réponses» étaient fournies. « Quel est le but du filtrage de sécurité?» pouvait-on y lire. «Réponse: Évaluer la fiabilité d’un particulier et sa loyauté envers le Canada», était-il écrit.
Dans les faits, l’explication est un peu plus complexe. À l’instar de tous les ministères fédéraux et d’environ 80 organismes relevant du gouvernement fédéral, l’ONF doit se soumettre à la norme du Conseil du trésor sur le filtrage de sécurité, dévoilée en 2014.
La nouvelle exigence, dont la mise en oeuvre doit être achevée en octobre, doit servir à déterminer si «un particulier n’a pas participé, ne participe pas, ni ne participera vraisemblablement à des activités qui constituent une “menace à la sécurité du Canada” au sens de l’article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité», a
précisé le Conseil du trésor du Canada au Devoir.
En tout, plus de 250 000 employés de la fonction publique fédérale sont concernés.
Implantation progressive
Or, si les employés de l’ONF viennent tout juste d’être avisés, c’est parce que l’agence culturelle a choisi d’implanter la nouvelle norme de manière progressive. «On l’a d’abord imposée à
la direction, au service des TI, au service des baux. Tous les nouveaux employés, depuis 2015, sont passés à travers le processus», a expliqué la directrice des communications de l’ONF, Lily Robert.
À ce jour, 43% des employés se sont soumis aux nouvelles exigences. «À partir d’octobre, on va faire la même chose avec nos collaborateurs, et quand je parle de collaborateurs, je parle de pigistes », a confirmé Mme Robert.
Désormais, donc, toute personne qui souhaitera avoir accès aux équipements techniques de l’ONF devra fournir ses empreintes digitales. « Ceux qui utiliseront aussi le système informatique — pour les courriels ou l’Intranet, par exemple — devront fournir leurs empreintes et subir une enquête de crédit», a annoncé Lily Robert.
Les premiers — ceux qui n’auront fourni que leurs empreintes digitales — auront une « cote d’accès au lieu » qui les suivra pendant cinq ans. Les seconds auront une « cote de fiabilité » pour dix ans.
Lily Robert ne se fait pas d’illusions: certains créateurs n’accueilleront pas la nouvelle dans la joie, et «il faudra les rassurer», a-t-elle avancé. « C’est sûr que l’ONF est une boîte de création, et on veut s’assurer que ça demeure convivial. Mais on n’a pas le choix, il faut implanter ces mesureslà », a-t-elle ajouté, avant de préciser que le processus est confidentiel et que les empreintes sont détruites une fois la cote accordée.
Quant à la vérification des casiers judiciaires, elle sera effectuée par la GRC.
Surprise chez les créateurs
Le Devoir est entré en contact avec trois créateurs qui ont déjà collaboré avec l’ONF, mais qui n’ont pas de projets en cours avec l’organisme.
« Vous me l’apprenez », a déclaré la cinéaste Carole Laganière. «Si je n’ai pas le choix, si j’avais une production avec eux et que c’était une condition sine qua non, je le ferais. Mais en même temps, je trouve ça terrible. »
« C’est absolument ridicule, a lancé la réalisatrice Vali Fugulin. On sait qu’être un artiste, un créateur, ce n’est déjà pas simple. Estce que ça va nuire à certains projets avec l’ONF? Je pense que oui, malheureusement.» À son avis, l’ONF a un statut particulier, dont il aurait fallu tenir compte dans l’implantation de la norme.
Le cinéaste Matthew Rankin a quant à lui confié qu’il n’est pas surpris par la nouvelle. « C’est quand même une institution gouvernementale. Il y a des agents de sécurité sur place, a-t-il fait valoir. Je ne comprends pas exactement pourquoi ils font ça. J’aimerais le savoir. Sans doute ont-ils un bon argument. »
Le refus de se plier aux nouvelles normes de sécurité pourrait équivaloir à l’échec de certaines collaborations, selon les explications du Conseil du trésor.
« [Cela] pourrait faire en sorte que l’employé ne serait pas ou plus en mesure de remplir cette condition d’emploi, ce qui risquerait d’entraîner une cessation d’emploi ou l’annulation d’un contrat », a déclaré le porte-parole Martin Potvin. La « gestion » de la sécurité au sein du personnel relèvera quant à elle du ministère ou de l’organisme, a-t-il ajouté, sans répondre précisément à une question concernant la prise en charge des coûts de l’exercice.
Est-ce légal?
L’implantation des nouvelles normes, et surtout la manière dont elle se déroule, dérange l’Institut professionnel de la fonction publique (IPFP), dont les membres sont les professionnels de l’ONF, comme les techniciens, les curateurs ou les agents de commerce.
«Il n’y a eu aucune consultation, on a été pris par surprise, a dénoncé le conseiller juridique Martin Ranger. Nous, on a déposé un contrôle judiciaire sur la norme elle-même. On prétend qu’elle viole la Charte et la Loi sur la protection des renseignements personnels. »
En novembre 2014, le syndicat a tenté de déposer six griefs de principe concernant la nouvelle norme.
La sous-ministre adjointe à la rémunération et aux relations de travail du Secrétariat du Conseil du trésor, Manon Brassard, a répondu en mars 2015 que les griefs «ne correspondent pas à la signification de griefs de principe », notamment parce qu’ils ne concernent pas « l’interprétation ou l’application des conventions collectives» et qu’ils ne modifient pas, selon sa réponse, les conditions d’emploi.
À la suite du rejet des griefs, l’IPFP a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Les démarches sont actuellement suspendues, dans l’attente d’un dénouement dans une poursuite semblable, intentée par le Syndicat des agents correctionnels du Canada (SACC).
Dans une décision rendue en novembre 2016, la juge Martine St-Louis a donné gain de cause à l’employeur, notamment en raison du degré d’exposition des agents correctionnels à des tentatives de corruption. Le SACC portera la décision en appel.