Le Devoir

Louis Hayes à l’ombre de Silver et d’Adderley

Le batteur américain se pose comme l’exécuteur testamenta­ire des oeuvres des deux géants

- SERGE TRUFFAUT Collaborat­eur Le Devoir

Étrange destinée que celle du batteur Louis Hayes, 80 ans cette année. Oui, étrange et paradoxale. Chaque fois que l’on décline ici et là les noms des grands batteurs des années 1950 et 1960, les suivants reviennent toujours: Philly Joe Jones, Art Taylor, Elvin Jones, Kenny Clarke, Art Blakey, Ed Blackwell, Shelly Manne, Buddy Rich, Billy Higgins et Max Roach, évidemment. Hayes? Il figure toujours aux abonnés absents.

Pourtant, il se trouve que l’homme, né à Detroit, soit la ville où naquirent le plus grand nombre de grands musiciens du genre, a rythmé les grandes heures d’Horace Silver d’abord, de Cannonball Adderley et d’Oscar Peterson ensuite. En d’autres mots, il a joué des baguettes, des tambours et des cymbales pour les formations les plus en vue de l’époque, hormis, il va sans dire, celles de Miles Davis, de John Coltrane, de Thelonious Monk, des Jazz Messengers d’Art Blakey, de Stan Getz et de Charles Mingus.

Après avoir été le maître des pulsations nécessaire­s au déploiemen­t des singularit­és artistique­s de Silver, d’Adderley et de Peterson, voilà qu’il se pose depuis plusieurs années maintenant comme historien ou exécuteur testamenta­ire des oeuvres de ces derniers. Tout récemment, il a publié Serenade for Silver sur l’étiquette Blue Note. Auparavant, il y a plus d’un an en fait, il avait proposé le Cannonball Adderley Legacy Band – Live at Cory Weed’s Cellar Jazz Club de Vancouver sur l’excellente étiquette Cellar Live. Antérieure­ment à ce dernier, avec son Adderley Legacy Band, il avait signé Maximum Firepower sur Savant. Bien.

Aujourd’hui, des trois galettes évoquées plus haut, celle intitulée Serenade for Silver retient davantage l’attention, pas seulement parce qu’elle est toute récente, mais bien parce qu’elle met en relief le fait suivant: le pianiste Horace Silver reste LE compositeu­r des thèmes les plus intenses du hard-bop, dont il fut d’ailleurs l’un des précurseur­s.

À la faveur de l’enregistre­ment de cette Serenade, Hayes expose à sa manière, celle maniant la simplicité avec le droit au but, les pièces dont il fut le batteur original : Ecaroh, Senor Blues, Song for My Father, Strollin’, Juicy Lucy, Silver’s Sérénade, Lonely Woman, Summer in Central Park, St. Vitus Dance, Room 608, auxquelles le héros de l’heure a greffé une de ses compositio­ns, soit Hastings Street.

Pour mener cette aventure logeant à l’enseigne de la joie et de la camaraderi­e, soit ces valeurs ou caractères qui ont toujours distingué les formations dirigées par Adderley et Silver, notre homme a réuni autour de lui Abraham Burton, saxophonis­te ténor poignant, Josh Evans, trompettis­te vif, David Bryant, pianiste parfait pour touiller l’ensemble, et Dezron Douglas, contrebass­iste parfait, sans oublier l’aspect original de cette formation: la présence du vibraphoni­ste Steve Nelson.

Le résultat est simple à définir : Hayes vient de confection­ner un des grands moments du jazz de notre époque. C’est vif, entraînant, enjoué. Tellement que Hayes se pose désormais comme le leader d’une des cinq ou six meilleures formations de jazz des dernières années.

Très triste nouvelle : Geri Allen, la pianiste de l’élégance, est décédée des suites d’un cancer. Elle avait 60 ans seulement. Cette grande dame, qui fut aussi une grande professeur­e, s’est toujours distinguée par l’applicatio­n avec laquelle elle sculptait chaque note jouée. Elle ne jouait pas contre, mais avec. Cette instrument­iste virtuose, qui n’a jamais abusé de cela, autrement dit qui n’a jamais sombré dans l’esbroufe, le m’as-tu-vu, avait un souci de la beauté sonore qui l’a singularis­ée de bien de ses contempora­ins. Cette qualité n’avait d’ailleurs pas échappé à Charles Lloyd, Charlie Haden, Oliver Lake, Lester Bowie, Woody Shaw ou Wayne Shorter. Son album Etudes avec Paul Motian à la batterie et Charlie Haden à la contrebass­e est une définition parfaite de l’art du trio.

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SOURCE SMOKE SESSIONS Le batteur Louis Hayes, 80 ans

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