Le Devoir

› Les plages intemporel­les d’Old Orchard Beach. La petite ville mise désormais sur une clientèle plus familiale.

La petite ville balnéaire mise dorénavant sur une clientèle plus familiale et plus «discrète»

- HÉLÈNE CLÉMENT à Old Orchard Beach

Camp Ellis, Ferry Beach, Bay View, Kinney Shores, Ocean Park, Old Orchard, Pine Point… Des noms qui claquent comme des voiles au vent, évoquant aux familiers de ces lieux de vacances une plage de sable de 15 kilomètres, de ports de mer où l’on déguste homards, palourdes et huîtres, une jetée sur pilotis animée, un parc d’attraction­s coloré. Malgré bien des avatars au fil de sa riche histoire, la baie de Saco — et son épicentre, Old Orchard Beach — continue d’attirer les habitués et leur descendanc­e.

Ville bruyante, ville délabrée, ville aux odeurs de friture, ville arpentée par des hordes de touristes tapageurs engloutiss­ant bières, hot-dogs, pizzas, popcorn au caramel, boissons gazeuses… Clichés et préjugés ont la vie dure. Old Orchard en est bourrée.

Du coup, pour redorer son blason, la petite ville de quelque 9000 habitants — une population qui s’élève à 100 000 l’été —, à l’ambiance carnavales­que, est à peaufiner son image et mise dorénavant sur une clientèle familiale plus calme, plus curieuse, plus huppée. Et le résultat n’est pas mal du tout! Plutôt convaincan­t même.

La rue principale a fait peau neuve. On y a installé des lampadaire­s victoriens. Tout autour, aucun bâtiment ou motel délabrés et bien moins de commerces kitsch.

Les magasins de friandises comme Dickinson’s Candy Factory, où l’on fabrique depuis des lustres salt water candy, fudge, barbe à papa et pop-corn au caramel, ont pris des allures de laboratoir­es culinaires où l’on peut en observer la confection de A à Z.

Le Pier, construit en 1898 sur une longueur de 520 mètres, endommagé par un orage en 1909, reconstrui­t et raccourci à 250 mètres en 1910, encore détruit en 1978 par une tempête, mesure 120 mètres, attire autant et est plutôt photogéniq­ue vu de la plage.

Pour un voyage historique

dans le passé coloré de cette petite ville balnéaire jadis fréquentée par la bourgeoisi­e américaine et canadienne, la Chambre de commerce propose une virée au Musée Harmom, tout en haut de la rue Old Orchard.

L’exposition The Big Band Era vient d’y être lancée par la Old Orchard Beach Historical Society. On y apprend que les somptueux hôtels et palaces de la ville — dont le nom vient d’un pommier planté en 1636 par son premier colon, Thomas Rogers — en firent sa réputation de lieu noble de villégiatu­re sur la côte est des États-Unis.

Que les musiciens de jazz les plus célèbres du monde, les Duke Ellington, Louis Amstrong, Guy Lombardo… s’y arrêtèrent tous. Et que la plage d’Old Orchard servit de piste d’atterrissa­ge aux premiers héros de l’aéronautiq­ue, dont Charles Lindbergh.

Tout ça, et bien plus encore, c’était bien avant que les Québécois des années 1970 sans trop le sou viennent, nombreux, y faire bamboche et créent ainsi une foule de préjugés.

L’accent québécois résonne toujours dans les rues, les commerces et sur les plages. Les habitués et leur descendanc­e continuent d’y venir, mais dans un esprit plus familial. Ce même accent s’entend aussi sur les plages de Bar Harbor, Wells, Ogunquit, Kennebunkp­ort, Cape Cod… Les Québécois adorent la côte est américaine.

Cela dit, il y a bien quelques fêtards à l’occasion, mais ce n’est pas la règle. Car la municipali­té a pris des mesures pour leur faire obstacle. Entre autres en interdisan­t la consommati­on d’alcool sur la plage et en certains lieux, la cigarette et les jurons.

Comme dans la communauté d’Ocean Park, à trois kilomètres au sud. Et puis, si l’on déteste le maelstrom des fêtes foraines, il suffit de bouger un chouia vers le sud ou le nord pour trouver plus calme, plus rustique, plus nature. La baie de Saco s’étend de Camp Ellis (Saco) au sud, jusqu’à Pine Point (Scarboroug­h) au nord.

Les grandes vacances

Comme bien des familles québécoise­s, nous passions nos vacances à Old Orchard à une certaine époque. Plus précisémen­t à Ferry Beach, à huit kilomètres au sud. Mais je préférais dire Old Orchard, car mes amis en avaient tous entendu parler. Ça m’évitait des explicatio­ns!

À Ferry Beach, il n’y avait ni vague, ni parc d’attraction­s, ni jeux d’arcade, ni boutiques de sweat shirts, ni d’aussi bonnes patates frites que chez Pier Fries. Pier Fries ! Une légende depuis 1932. Toujours aussi délicieuse­s, d’ailleurs. Enfants, nous les achetions sur le pier, mais depuis que la jetée a été détruite par une tempête hivernale en 1978, la boutique a déménagé sur la rue principale. La même recette depuis 85 ans: des pommes de terre du Maine, fraîchemen­t coupées au quotidien, frites dans l’huile de soja, servies dans de petites boîtes, saupoudrée­s de vinaigre et de sel.

Et la barbe à papa? Tout aussi populaire que dans le temps, mais ce n’est pas donné. Quatre dollars américains l’unité. Je vous le disais, Old Orchard Beach est devenu un lieu huppé. « La raison du coût de la vie élevé? Les taxes y sont pharaoniqu­es », précise Daniel E. Blaney, membre de l’Old Orchard Beach Historical Society, auteur du livre Old Orchard Beach, Maine et natif de la ville: «L’hiver, la vie est au ralenti ici. L’été, c’est autre chose. La population est quasiment dix fois plus élevée. La Ville doit veiller au bon fonctionne­ment du traitement des eaux, payer le salaire des 23 sauveteurs, de la quarantain­e de policiers engagés pour veiller à la sécurité et des pompiers en sus.»

Parlons-en, des incendies. Ils font partie de l’histoire de cette ville qui a vu le jour en 1636. Le pire fut celui de 1907, qui a détruit tout le secteur compris entre la plage et Grand Avenue, dont le parc d’attraction­s inauguré en 1902, et de Staples à Brisson.

«En six heures, il y avait déjà plusieurs morts et des blessés sérieux. Dix-sept hôtels ont été détruits, dont le Velvet, le Fiske, l’Alberta, ainsi qu’une soixantain­e de chalets et de maisons. Plus de 117 commerces ont dû fermer boutique», raconte l’historien.

En 1943 c’est l’Old Orchard House qui est réduite en cendres et en 1969, l’entrée du parc d’attraction­s et du Pier, dont l’Arche de Noé juché sur ce qui représenta­it le mont Ararat. De ses fenêtres apparaissa­ient les têtes d’une vigie, d’un éléphant, d’une girafe, d’un singe. Et assis sur le pont, Noé qui regardait les vagues se briser sur la plage.

Je me souviens

Nous n’avions pas de voiture. C’est mon oncle qui nous emmenait dans le Maine. Au début juillet. Nous, c’est-à-dire ma grand-mère, ma mère, ma soeur, le chien, le chat, les souris et tout l’attirail nécessaire à la survie de cette transhuman­ce estivale d’un mois.

Quinze années consécutiv­es de ce remue-ménage estival. Ça ne s’oublie pas. Que de bons souvenirs. Même durant les étés où il pleuvait des trombes une partie du temps et que les aiguilles de la machine à coudre de ma mère rouillaien­t sur le dispositif.

Nous louions une maison en bois à deux étages (elle se loue toujours), avec des planchers qui craquent et une immense galerie grillagée qui en faisait le tour. Le soir, on s’y berçait en écoutant les grenouille­s coasser et les cigales craqueter avec ferveur.

Du chalet, on voyait le clocher de la petite église blanche en bois de Camp Ellis. Elle a été transformé­e en maison, privée de son clocher. «Elle a fermé ses portes simplement parce que les gens sont moins croyants», explique Daniel E. Blaney.

La seule épicerie du nom de Langevin permettait d’acheter l’essentiel. On s’y procurait du lait Hood — le meilleur au monde, selon ma mère — et des bonbons à la cenne. Il y avait une pizzeria qui fabriquait aussi la meilleure pizza de toutes et le restaurant Huot, où l’on achetait à l’occasion des onions rings et des fried clams. Il existe toujours.

Le mur de roches

L’océan se trouvait au bout de la rue, à environ 30 mètres de la maison. Les jours de beau temps, la mer scintillai­t comme un joyau sous le soleil. Par temps orageux, on entendait les vagues se briser contre le mur de roches qui séparait la plage de la rue.

Dans ses roches empilées les unes sur les autres, le temps n’existait pas. J’aimais transforme­r l’antre en maison que je décorais d’algues, d’étoiles de mer, de coquilles de palourdes ou de crabes, de couteaux, de dollars de sable… Combien de sandwichs au beurre d’arachide et à la confiture ai-je dégustés dans les anfractuos­ités de ces rochers?

La mer était calme, comparativ­ement à Old Orchard Beach, et à marée basse, une série d’îlots de sable se formait. Nous pouvions marcher des mètres vers le large. Il fallait toutefois se méfier de la marée montante. «Ça va vite», nous répétait ma mère.

Aujourd’hui, ce tronçon de plage entre les rues Sunrise et Sunset et la longue jetée construite au XIXe siècle, à Camp Ellis, pour protéger du sable la voie navigable de la rivière Saco, n’existent plus. Voilà un des grands changement­s observés. Notre terrain de jeu a disparu, emportant avec lui quelques maisons et des milliers de souvenirs d’enfance.

«Cette digue a altéré les courants et redirigé le sable vers le nord, explique Daniel E. Blaney. En conséquenc­e, beaucoup plus de sable sur la plage d’Old Orchard et disparitio­n de ce tronçon de plage où vous passiez vos étés il y a 40 ans. »

Un tramway nommé Izabella

Mon oncle revenait, le temps d’une fin de semaine au milieu du mois, accompagné de mon père. Un moment attendu puisque la coutume, ce week-endlà, était d’aller au parc d’attraction­s à Old Orchard Beach. À l’époque, aucun trolleybus ne faisait la navette.

Et loin de nous le temps où le dummy, ce train qui, au XIXe siècle, emmenait les estivants d’Old Orchard à Camp Ellis pour y prendre le traversier (d’où «Ferry Beach») vers Biddeford Pool, le temps d’un thé. Comme il n’avait aucun endroit pour tourner à Camp Ellis, le train revenait à reculons à Old Orchard. D’où son nom « dummy ».

Aujourd’hui, des trolleybus font la navette à la demi-heure, du matin jusqu’à 23h30, entre Old Orchard, Saco, Biddeford, Portland et Camp Ellis. Ce qui permet aux gens de visiter la région sans avoir à prendre la voiture. Ils ont un petit air rétro, font plaisir à voir et ne coûtent qu’un dollar.

Celui qui arrête à Camp Ellis se nomme Izabella. Heureuseme­nt qu’il n’existait pas lorsque nous étions ados, car nous aurions passé nos soirées à Old Orchard Beach!

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 ?? PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT ?? La jetée d’Old Orchard Beach, qui faisait à l’origine, en 1898, 520 mètres de longueur, en fait aujourd’hui 120. Vu de la plage, elle est très photogéniq­ue. Ci-dessous: sur la terrasse du restaurant Bait Shed de chez Bayley’s Lobster Pound, à Pine Point (Scarboroug­h).
PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT La jetée d’Old Orchard Beach, qui faisait à l’origine, en 1898, 520 mètres de longueur, en fait aujourd’hui 120. Vu de la plage, elle est très photogéniq­ue. Ci-dessous: sur la terrasse du restaurant Bait Shed de chez Bayley’s Lobster Pound, à Pine Point (Scarboroug­h).
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Les magasins de friandises comme Dickinson’s Candy Factory, où l’on fabrique depuis des lustres salt water candy, fudge, barbe à papa et pop-corn au caramel, ont pris des allures de laboratoir­es culinaires où l’on peut en observer la confection de A à Z.
 ?? PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT ?? La promenade du parc d’État Ferry Beach
PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT La promenade du parc d’État Ferry Beach
 ??  ?? La plage entre Pine Point et Camp Ellis, longue de quelque 15 kilomètres: génial pour courir ou randonner. À droite: la pêche aux palourdes à Pine Point (Scarboroug­h).
La plage entre Pine Point et Camp Ellis, longue de quelque 15 kilomètres: génial pour courir ou randonner. À droite: la pêche aux palourdes à Pine Point (Scarboroug­h).
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