L’étau se resserre autour de Nétanyahou
Des proches du premier ministre israélien ont été interpellés dans le cadre d’une enquête sur l’achat de corvettes et sous-marins au groupe allemand Thyssen
Les prochaines semaines vont être judiciairement compliquées pour Benjamin Nétanyahou et pour certains de ses proches. Parce que les enquêtes pour fait de corruption dans lesquelles leur nom est cité progressent à grands pas et que les enquêteurs de l’Unité 433, l’équivalent israélien du FBI, ont, semble-t-il, décidé de mettre les bouchées doubles.
En effet, depuis lundi, sept personnes soupçonnées de corruption, de fraude et de blanchiment ont été interpellées, dont trois ont été placées en détention ou assignés à domicile. Elles sont soupçonnées d’avoir manoeuvré pour que le groupe allemand ThyssenKrupp se voie attribuer la commande d’au moins un sous-marin de type Dolphin susceptible de transporter des têtes nucléaires et de quatre corvettes Saar destinées à protéger les gisements gaziers israéliens en Méditerranée.
Tout a commencé vers 2009, lorsqu’Israël a lancé un appel d’offres international pour la construction des corvettes Saar. À l’époque, des firmes sud-coréennes et italiennes avaient fait connaître leur intention de concourir, mais la procédure a été annulée en 2015 et le marché de 430 millions d’euros (625 millions $CAN) sur cinq ans avait été attribué à ThyssenKrupp sans autre forme de procès. Malgré l’opposition de l’état-major de l’armée (Tsahal) et du ministre de la Défense de l’époque, Moshé Yaalon, qui a démissionné en mai 2016 en raison de ce différend, Nétanyahou a aussi imposé à la marine de son pays l’achat d’un sixième sous-marin Dolfin, contre l’avis des militaires qui estimaient la dépense inutile.
«Cela ne sentait pas bon, affirme aujourd’hui Yaalon. Tout s’est fait dans mon dos alors que j’étais censé être aux premières loges en tant que responsable de la sécurité nationale du pays. »
Pour l’heure, le premier ministre n’est cependant pas impliqué dans cette affaire connue sous le nom de «dossier 3000». Mais il sera interrogé dans les prochains jours puisque tous les suspects tournent autour de lui. À commencer par l’avocat d’affaires David Shimron, qui est également son cousin et son proche conseiller. Assigné à résidence, Shimron est aussi le conseil de ThyssenKrupp en Israël ainsi que celui de Miki Ganor, le représentant du groupe allemand, qui a d’ailleurs été placé sous mandat dès lundi. Un sort que connaît également l’ancien numéro 2 du Conseil national de sécurité (CNS), Avriel Ben Yossef, dont le nom est par ailleurs cité dans une autre affaire de corruption indépendante du « dossier 3000 ».
Selon les enquêteurs, Ben Yossef aurait usé de son influence pour convaincre ThyssenKrupp de nommer Ganor comme représentant en Israël en faisant comprendre aux dirigeants du groupe allemand qu’une telle nomination était la condition indispensable pour remporter le marché des corvettes. Ancien commandant de la marine israélienne, Eliezer Marom, un proche de Ben Yossef, est lui aussi intervenu pour appuyer la nomination de Ganor. Bien sûr, lui et son ami n’ont pas fait cela gratuitement: ils ont été payés par leur protégé, qui devait aussi leur rétrocéder un pourcentage de sa commission sur le marché.
«Dépenses utiles»
Les enquêteurs israéliens, qui travaillent sur le «dossier 3000» avec leurs homologues allemands, disposent d’informations sur un compte bancaire ouvert par Marom à Chypre et par lequel de l’argent provenant de Thyssenkrupp a transité. Les policiers de Berlin ont découvert, eux, dans la comptabilité du constructeur allemand un poste baptisé « dépenses utiles » et qui servait, semble-t-il, à arroser les Israéliens. Arrêté mardi puis placé aux arrêts domiciliaires, Marom est le plus haut gradé de l’armée israélienne à se retrouver impliqué dans une affaire de corruption.
« Le fait que de l’argent circule dans le cadre de commandes publiques d’armement n’est pas nouveau. Mais ce qui est intéressant dans ce dossier, c’est que tous les suspects forment un petit milieu gravitant autour du premier ministre», lance le chroniqueur judiciaire Baroukh Kra.
Devenu un opposant farouche à Nétanyahou depuis sa démission du gouvernement, Yaalon a raconté à l’unité 433 comment le marché du sous-marin et des corvettes s’est déroulé selon lui, « persuadé que la vérité va éclater au grand jour» et que «l’affaire débouchera sur l’inculpation de Nétanyahou si les enquêteurs vont au fond des choses ».