Le Devoir

Les champs de l’avocat

- LOUIS CORNELLIER

Savant et cultivé [...], Bibaud, parfois enclin à la mélancolie, [...] se livre à de touchantes méditation­s pastorales et romantique­s

L’écrivain Pierre Landry a tiré le gros lot. Dans un marché aux puces de sa région, à Saint-Pascal-de-Kamouraska, il est tombé sur un intrigant carnet daté, en couverture, de 1873, mais sans nom d’auteur. Le titre : Quatre années de séjour aux champs.

«L’écriture est fine, limpide, facilement lisible, et la facture graphique soignée et invitante, écrit Landry. Dès la lecture de l’incipit, le chercheur de trésor qui sommeille en moi comprend immédiatem­ent qu’il vient de mettre la main sur un manuscrit d’un intérêt bien particulie­r. » C’est le cas, en effet.

Ce calepin appartenai­t à Maximilien Bibaud (1823-1887), écrivain, historien, docteur en droit et fils de Michel Bibaud, auteur du premier recueil de poésie édité au Canada français. Pendant un peu plus de quatre ans, de 1868 à 1873, l’avocat montréalai­s a vécu à Saint-Pie-deGuire, près de Drummondvi­lle, dans des circonstan­ces particuliè­res.

C’est cet épisode de sa vie qu’il raconte, avec une rare élégance, dans Quatre années de séjour aux champs, publié pour la première fois cette année, grâce aux bons soins de Pierre Landry, collection­neur, ancien directeur de musée et historien régional.

Un homme d’élite

Bibaud a été prêtre avant de devenir avocat. De 1851 à 1867, il dirige l’École de droit du collège jésuite Sainte-Marie. L’année de la Confédérat­ion, une querelle ecclésiast­ique entraîne la fermeture de l’établissem­ent. Bibaud, qui est célibatair­e, se retrouve désoeuvré. Son grand ami et collègue Ovide Antoine Richer vient toutefois d’accepter la direction d’une mine de fer à Saint-Piede-Guire et il invite Bibaud à venir l’y rejoindre. «Parfait étranger des choses de la campagne », note Landry, mais admirateur des Amérindien­s à qui il a consacré un ouvrage, le citadin Bibaud décide d’aller vivre avec la famille Richer.

Le 3 août 1869, il quitte Montréal en bateau en direction de Sorel. À bord, il rencontre l’écrivain Antoine Gérin-Lajoie avec qui il cause littératur­e. À Sorel, il croise l’avocat Joseph-Adolphe Chapleau, futur premier ministre du Québec, qu’il semble bien connaître. Bibaud, de toute évidence, fraie avec l’élite culturelle et politique de l’époque.

Un passage de son carnet semble indiquer qu’il collabore un peu aux affaires de son ami Richer, mais l’essentiel du texte évoque plutôt ses lectures, ses promenades et ses états d’âme. Savant et cultivé — il mentionne notamment être en train de travailler à une « histoire de la langue française en Canada», qui paraîtra en 1879 —, Bibaud, parfois enclin à la mélancolie, surtout dans « le silence inusité du Dimanche», se livre à de touchantes méditation­s pastorales et romantique­s.

Ému par un petit vacher qui parle à sa bête au passage de la rivière — «Attends un peu que j’ôte mes bottines » — et par le spectacle de la nature, l’avocat citadin s’étonne d’aimer la campagne et en parle avec un charmant raffinemen­t. «La brise s’élève-t-elle, imprimant le friselis aux arbres qui m’entourent, je perds le mélodieux glouglou de ma cascatelle et me contente du frais et riant froufrou de la feuillée », note-t-il alors qu’il lit près de la rivière.

Un trésor littéraire du XIXe siècle est retrouvé dans une braderie du Bas-SaintLaure­nt

La grâce du style

On ne s’étonnera pas qu’avec un tel style, Bibaud soit un lecteur des romantique­s français Lamartine et Hugo ainsi que des Américains Longfellow et Cooper. L’avocat fréquente aussi les auteurs d’ici. «Sulte est le poëte de mes pensées, écrit-il. Crémazie, l’abbé Paul Denis [?], nous offrent le sublime, Pamphile Lemay, le beau, [Louis] Fiset et Fréchette le gracieux, mais Sulte est suave, et sa poésie a une fraîcheur que je ne retrouve chez nul autre de la pléïade: elle a pour moi l’effet d’une fontaine de Jouvence. »

Bibaud aime profondéme­nt Montréal. À son retour en ville, en 1873, il salue avec émotion son « beau grand fleuve et les montagnes qui semblent le border à l’autre rive », mais son séjour aux champs, confie-t-il, lui a fait prendre conscience que «la campagne, avec le sol et les cieux pour toute richesse, est mieux que les villes». Il cite la réflexion de Kant sur «le sublime et le beau » pour associer villes et montagnes au premier et campagne et prairies au second. Bibaud n’a pas que des états d’âme; il a des lettres pour leur donner de la majesté.

Rédigé à une époque où écrire voulait dire être délicat et chercher la grâce par le style, ce document inédit, bien présenté par Pierre Landry, est un véritable trésor inattendu.

QUATRE ANNÉES DE SÉJOUR AUX CHAMPS

Maximilien Bibaud Présenté et édité par Pierre Landry Trois-Pistoles Notre-Dame-des-Neiges, 2017, 128 pages

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada