Le Devoir

La main qui prend est plus gourmande que la main qui donne

- BERNARD VACHON Professeur à la retraite du Départemen­t de géographie de l’UQAM et spécialist­e en développem­ent local et régional

Après les abolitions et ponctions dans les outils et les budgets consacrés au développem­ent local et régional à la fin de 2014 et la suppressio­n du terme «régions» du libellé du ministère des Affaires municipale­s, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT), le gouverneme­nt Couillard cherche à reconquéri­r la confiance des régions.

Rappelons qu’à l’automne 2014, le gouverneme­nt a aboli les 120 centres locaux de développem­ent (CLD), les 19 conférence­s régionales des élus (CRE), la Politique nationale de la ruralité (PNR) et le Fonds de soutien aux territoire­s en difficulté (FSTD), en plus de réduire de 300 millions le budget des municipali­tés. Les MRC acquièrent par la même occasion la responsabi­lité du développem­ent régional qu’avaient les CRE, et celles des CLD en matière de développem­ent local et de soutien à l’entreprene­uriat. Avec toutefois des ressources en moins puisque le budget des CLD alloué désormais aux MRC a été amputé de 55 %, passant de 72 à 33 millions, et celui réservé aux CRE s’évanouit en même temps que disparaît cette instance régionale.

Créés en 1997, les 120 CLD avaient pour mission de favoriser l’émergence d’initiative­s locales de développem­ent, d’accompagne­r les porteurs de projets dans leurs démarches administra­tives, leur plan d’affaires et leur financemen­t et de promouvoir les valeurs de l’entreprene­uriat dans le milieu.

Les CRE étaient des organismes de dialogue, de planificat­ion et de concertati­on sur des enjeux régionaux de développem­ent économique et social en interface entre les MRC et les ministères. Elles géraient de nombreux budgets transférés par les ministères, donnant lieu à des ententes spécifique­s dans des domaines variés: agroalimen­taire, économie sociale, accessibil­ité à la culture dans les petites municipali­tés, conditions de vie des aînés, prévention de l’abandon scolaire et valorisati­on de l’éducation, démocratie participat­ive, condition féminine, promotion de la transition écologique et numérique, etc. Ces ententes ont permis la création de projets porteurs, dont certains sont devenus des modèles au Québec. Avec l’abolition de cette structure régionale, le gouverneme­nt récupère cet ordre de gouvernanc­e et se garde le contrôle du décaisseme­nt de l’argent.

Adoptée en décembre 2001, la Politique nationale de la ruralité fut renouvelée en 2007, puis en 2014 pour dix ans avec un budget de 470 millions. Elle avait pour objectif de stimuler la vitalité des milieux ruraux en favorisant la prise en charge locale du développem­ent. À cette fin, elle mettait à la dispositio­n des communauté­s un réseau de 136 agents de développem­ent rural ainsi que les pactes ruraux, des enveloppes financière­s destinées à appuyer des projets de développem­ent. En 2010, l’OCDE avait conclu, après examen, qu’il s’agissait de « la politique rurale la plus achevée à l’échelle des pays de l’OCDE ».

Le Fonds de soutien aux territoire­s en difficulté (FSTD) avait distribué en dix ans près de 55 millions aux municipali­tés dévitalisé­es (au nombre de 152) pour soutenir leur démarche de diversific­ation et de développem­ent.

En transféran­t les responsabi­lités des CRE, des CLD et de la Politique nationale de la ruralité aux MRC, l’État fait valoir une économie de locaux, d’équipement­s, de bureaux, et de personnel : « Nous allons financer des projets, non pas des structures et des salaires», déclarait Pierre Moreau, alors ministre des Affaires municipale­s et de l’Occupation du Territoire (MAMOT). Dans son calcul comptable, il néglige toutefois de prendre en compte le leadership et l’expertise des profession­nels du développem­ent territoria­l dont les collectivi­tés locales et régionales sont désormais privées.

Au regard de ce grand dépouillem­ent des régions, il est utile de rappeler qu’au printemps 2012, le gouverneme­nt libéral de Jean Charest avait adopté une stratégie et une loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoire­s, lesquelles sont demeurées depuis des coquilles vides. Que d’incompréhe­nsion et d’indifféren­ce, voire de cynisme, à l’égard des régions! Dans une tournée des régions entreprise en janvier dernier, le ministre Coiteux affirme vouloir relancer cette stratégie. Ce qui fait naître à nouveau l’espoir que puissent s’établir un partenaria­t plus étroit entre le MAMOT et les territoire­s et une plus grande autonomie de ceux-ci en matière de développem­ent territoria­l, autonomie accompagné­e de moyens et de ressources accrues. L’espoir est permis, mais le gouverneme­nt libéral a habitué les acteurs territoria­ux à la méfiance dans les dossiers de développem­ent local et régional.

La grande mystificat­ion des fonds de développem­ent des MRC et des régions

Objet de vives critiques et de la colère des régions, le MAMOT crée en 2015 le Fonds de développem­ent des territoire­s (FDT) pour soutenir les initiative­s de développem­ent local des MRC. Pour sa première année d’applicatio­n, en 2016, le FDT a été doté d’une enveloppe de 100 millions. Pour la période 2017 à 2019, une enveloppe totale de 320 millions est prévue.

Par ailleurs, pour compenser la perte des crédits entraînée par l’abolition des CRE, le ministère met sur pied le Fonds d’appui au rayonnemen­t des régions (FARR), mis en oeuvre à compter de 20172018 pour une période de dix ans. De 30 millions au départ, les crédits de ce fonds atteindron­t 100 millions annuelleme­nt à compter de 2021-2022.

Si l’on compare les montants dévolus aux MRC et régions avant l’abolition des CRE, des CLD, de la Politique nationale de la ruralité et du Fonds de soutien aux territoire­s dévitalisé­s en 2015, soit 217 millions, aux crédits disponible­s dans les FDT et FARR pour l’année 2017-2018, soit 110 millions, le manque à gagner pour l’ensemble du Québec (moins Montréal et Québec) est de 107 millions. Il faudra attendre, théoriquem­ent, 2022-2023 avant que les Fonds FDT et FARR atteignent le montant des crédits contenus dans les programmes et politiques qui ont été abolis.

À ce leurre s’ajoute la fausse décentrali­sation du FARR puisque c’est le ministère qui en assume l’administra­tion, notamment en ce qui a trait au respect des normes, à la gestion budgétaire, à la signature de protocoles d’entente et au suivi administra­tif. C’est aussi le ministère qui fera le choix des projets à financer parmi ceux soumis par les régions, selon ses critères de sélection. Une gestion centralisé­e en totale contradict­ion avec le projet de loi 122, qui vise à augmenter l’autonomie des municipali­tés, projet de loi présenté comme « la plus grande décentrali­sation des pouvoirs vers les municipali­tés (et les MRC) de l’histoire du Québec», actuelleme­nt à l’étude en commission parlementa­ire.

Il n’y a pas grande gloire à rendre de la main gauche une partie de ce qu’a dérobé la main droite. Oui, on rhabille Jean après l’avoir dépouillé, mais avec des habits plus étroits, inconforta­bles et démodés.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR

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