La main qui prend est plus gourmande que la main qui donne
Après les abolitions et ponctions dans les outils et les budgets consacrés au développement local et régional à la fin de 2014 et la suppression du terme «régions» du libellé du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT), le gouvernement Couillard cherche à reconquérir la confiance des régions.
Rappelons qu’à l’automne 2014, le gouvernement a aboli les 120 centres locaux de développement (CLD), les 19 conférences régionales des élus (CRE), la Politique nationale de la ruralité (PNR) et le Fonds de soutien aux territoires en difficulté (FSTD), en plus de réduire de 300 millions le budget des municipalités. Les MRC acquièrent par la même occasion la responsabilité du développement régional qu’avaient les CRE, et celles des CLD en matière de développement local et de soutien à l’entrepreneuriat. Avec toutefois des ressources en moins puisque le budget des CLD alloué désormais aux MRC a été amputé de 55 %, passant de 72 à 33 millions, et celui réservé aux CRE s’évanouit en même temps que disparaît cette instance régionale.
Créés en 1997, les 120 CLD avaient pour mission de favoriser l’émergence d’initiatives locales de développement, d’accompagner les porteurs de projets dans leurs démarches administratives, leur plan d’affaires et leur financement et de promouvoir les valeurs de l’entrepreneuriat dans le milieu.
Les CRE étaient des organismes de dialogue, de planification et de concertation sur des enjeux régionaux de développement économique et social en interface entre les MRC et les ministères. Elles géraient de nombreux budgets transférés par les ministères, donnant lieu à des ententes spécifiques dans des domaines variés: agroalimentaire, économie sociale, accessibilité à la culture dans les petites municipalités, conditions de vie des aînés, prévention de l’abandon scolaire et valorisation de l’éducation, démocratie participative, condition féminine, promotion de la transition écologique et numérique, etc. Ces ententes ont permis la création de projets porteurs, dont certains sont devenus des modèles au Québec. Avec l’abolition de cette structure régionale, le gouvernement récupère cet ordre de gouvernance et se garde le contrôle du décaissement de l’argent.
Adoptée en décembre 2001, la Politique nationale de la ruralité fut renouvelée en 2007, puis en 2014 pour dix ans avec un budget de 470 millions. Elle avait pour objectif de stimuler la vitalité des milieux ruraux en favorisant la prise en charge locale du développement. À cette fin, elle mettait à la disposition des communautés un réseau de 136 agents de développement rural ainsi que les pactes ruraux, des enveloppes financières destinées à appuyer des projets de développement. En 2010, l’OCDE avait conclu, après examen, qu’il s’agissait de « la politique rurale la plus achevée à l’échelle des pays de l’OCDE ».
Le Fonds de soutien aux territoires en difficulté (FSTD) avait distribué en dix ans près de 55 millions aux municipalités dévitalisées (au nombre de 152) pour soutenir leur démarche de diversification et de développement.
En transférant les responsabilités des CRE, des CLD et de la Politique nationale de la ruralité aux MRC, l’État fait valoir une économie de locaux, d’équipements, de bureaux, et de personnel : « Nous allons financer des projets, non pas des structures et des salaires», déclarait Pierre Moreau, alors ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du Territoire (MAMOT). Dans son calcul comptable, il néglige toutefois de prendre en compte le leadership et l’expertise des professionnels du développement territorial dont les collectivités locales et régionales sont désormais privées.
Au regard de ce grand dépouillement des régions, il est utile de rappeler qu’au printemps 2012, le gouvernement libéral de Jean Charest avait adopté une stratégie et une loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, lesquelles sont demeurées depuis des coquilles vides. Que d’incompréhension et d’indifférence, voire de cynisme, à l’égard des régions! Dans une tournée des régions entreprise en janvier dernier, le ministre Coiteux affirme vouloir relancer cette stratégie. Ce qui fait naître à nouveau l’espoir que puissent s’établir un partenariat plus étroit entre le MAMOT et les territoires et une plus grande autonomie de ceux-ci en matière de développement territorial, autonomie accompagnée de moyens et de ressources accrues. L’espoir est permis, mais le gouvernement libéral a habitué les acteurs territoriaux à la méfiance dans les dossiers de développement local et régional.
La grande mystification des fonds de développement des MRC et des régions
Objet de vives critiques et de la colère des régions, le MAMOT crée en 2015 le Fonds de développement des territoires (FDT) pour soutenir les initiatives de développement local des MRC. Pour sa première année d’application, en 2016, le FDT a été doté d’une enveloppe de 100 millions. Pour la période 2017 à 2019, une enveloppe totale de 320 millions est prévue.
Par ailleurs, pour compenser la perte des crédits entraînée par l’abolition des CRE, le ministère met sur pied le Fonds d’appui au rayonnement des régions (FARR), mis en oeuvre à compter de 20172018 pour une période de dix ans. De 30 millions au départ, les crédits de ce fonds atteindront 100 millions annuellement à compter de 2021-2022.
Si l’on compare les montants dévolus aux MRC et régions avant l’abolition des CRE, des CLD, de la Politique nationale de la ruralité et du Fonds de soutien aux territoires dévitalisés en 2015, soit 217 millions, aux crédits disponibles dans les FDT et FARR pour l’année 2017-2018, soit 110 millions, le manque à gagner pour l’ensemble du Québec (moins Montréal et Québec) est de 107 millions. Il faudra attendre, théoriquement, 2022-2023 avant que les Fonds FDT et FARR atteignent le montant des crédits contenus dans les programmes et politiques qui ont été abolis.
À ce leurre s’ajoute la fausse décentralisation du FARR puisque c’est le ministère qui en assume l’administration, notamment en ce qui a trait au respect des normes, à la gestion budgétaire, à la signature de protocoles d’entente et au suivi administratif. C’est aussi le ministère qui fera le choix des projets à financer parmi ceux soumis par les régions, selon ses critères de sélection. Une gestion centralisée en totale contradiction avec le projet de loi 122, qui vise à augmenter l’autonomie des municipalités, projet de loi présenté comme « la plus grande décentralisation des pouvoirs vers les municipalités (et les MRC) de l’histoire du Québec», actuellement à l’étude en commission parlementaire.
Il n’y a pas grande gloire à rendre de la main gauche une partie de ce qu’a dérobé la main droite. Oui, on rhabille Jean après l’avoir dépouillé, mais avec des habits plus étroits, inconfortables et démodés.