Le Devoir

La maladie mentale : la seule à blâmer pour un suicide ?

- SANDRINE CARLE-LANDRY

Douze ans. Dernière année du primaire. Je suis toujours une des dernières à monter dans l’autobus, puisque j’habite proche de l’école. Des gars dans ma classe me disent de venir les rejoindre sur la banquette arrière, car c’est là que les «vieux de 6e année» s’assoient. Puis, ils me montrent une feuille. Une liste. La fille qui a les plus beaux yeux. La fille la plus jolie. La fille la plus canon. La fille la plus laide.

18 ans. Je suis dans un bar. Vendredi soir. J’ai travaillé avec des enfants dans un camp de jour toute la semaine. J’ai besoin d’un break. J’ai envie de danser et de m’amuser. Un homme me tape sur les fesses. Je lui fais signe de ne pas me faire ça. Il rit avec ses amis.

19 ans. Je suis dans le métro, sur la ligne jaune. Il est tard, donc je suis seule. J’ai hâte de rentrer chez moi. On arrête à la station JeanDrapea­u. Un homme s’assoit dans mon wagon. Il me regarde. Il se lève. Il baisse son pantalon et il se masturbe. J’ai peur.

Ça, ce sont trois exemples. Trois exemples qui me sont venus en tête alors que j’écoutais 13 Reasons Why, une émission sur Netflix faisant fureur parmi les jeunes. Hannah Baker, une adolescent­e s’étant enlevé la vie, explique au moyen de cassettes les treize raisons qui l’ont poussée à se suicider. Treize personnes.

Une vague de critiques déferle présenteme­nt sur les réseaux sociaux. Montrer un suicide de manière aussi explicite est-il une bonne idée? Pourquoi la maladie mentale n’est-elle pas du tout mentionnée? Peut-on blâmer des personnes pour le suicide d’Hannah? Est-ce une bonne idée de parler ouvertemen­t de suicide?

Silence sur ce qu’elle a vécu

Moi, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi personne ne parle de ce qu’Hannah a vécu. Slut shaming, intimidati­on, agressions sexuelles. Culture du viol. Dire qu’Hannah était suicidaire à cause d’une maladie mentale et que c’est la seule raison justifiant son désir de s’enlever la vie, c’est lâche. Au lieu d’essayer de changer les choses, on attribue le suicide d’Hannah à la maladie mentale. Pourtant, il y en a, des adolescent­es, dans la vraie vie, qui se sont enlevé la vie après s’être fait agresser sexuelleme­nt, mais surtout après ne pas avoir été crues. Va-t-on enfin parler de la culture du viol ou va-t-on persister à se dire que ces filles étaient «malades»?

Ce qu’il faut, c’est faire comprendre que, siffler une femme dans la rue, ce n’est pas un compliment. Ce qu’il faut, c’est arrêter de parler de «filles faciles», de « friend zone » et de « putes ». Ce qu’il faut, c’est une éducation sexuelle dans les écoles secondaire­s, car, oui, il y a des personnes qui ne savent pas encore ce qu’est le consenteme­nt. Il y a des personnes qui ne savent pas encore ce qu’est un viol. Ce qu’il faut, c’est reconnaîtr­e que des facteurs sociaux peuvent pousser au suicide, et que la culture du viol n’y fait pas exception.

Ce n’est pas seulement Hannah Baker qui est malade, c’est notre société.

Il y en a, des adolescent­es, dans la vraie vie, qui se sont enlevé la vie après s’être fait agresser sexuelleme­nt, mais surtout après ne pas avoir été crues. Va-t-on persister à se dire que ces filles étaient «malades»?

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