Des acquis fragiles, un combat permanent
La Journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai, sert de rappel. Mal comprise, mal aimée, la liberté de la presse est pourtant indissociable de l’idéal démocratique.
Défendre la liberté de la presse, c’est nécessairement radoter. Les maires qui se comportent en roitelets et musellent les journalistes dans leur patelin sont élus tous les quatre ans. Les fonctionnaires qui contrôlent à deux mains le robinet de l’accès à l’information ne sont jamais inquiétés grâce au pourrissement de vaines promesses pour réformer ces lois. Et les personnalités publiques qui frappent sur le messager quand elles sont insatisfaites du message sont encore légion. La dernière en date, Pierre Moreau, a choisi précisément la journée du 3 mai pour casser du sucre sur le dos des médias de Québecor, qu’elle accuse de mener des enquêtes bâclées et tendancieuses sur un sujet d’actualité, soit l’apparition récurrente de fantômes libéraux en matière d’éthique. La sortie du président du Conseil du trésor suivait la publication de courriels laissant entendre que Violette Trépanier, ex-directrice du financement au Parti libéral du Québec, aurait menti à la commission Charbonneau.
La journée était mal choisie pour discréditer ainsi le travail d’une équipe de reporters que le ministre Moreau accuse de mener un travail de sape en service commandé, au profit du Parti québécois. Il s’agit d’une atteinte à la liberté de la presse avec un «l» minuscule, qui ressemble davantage à la tirade d’un politicien excédé. Le président américain, Donald Trump, fait pire pour dénigrer les médias presque tous les jours de sa présidence.
Les menaces à la liberté de la presse les plus pressantes relèvent d’un autre registre que les montées de lait: surveillance des journalistes d’enquête par la police, désuétude du régime d’accès à l’information, autant à Québec qu’à Ottawa, et absence d’un régime de protection des sources digne de ce nom.
Si le Canada a reculé du 18e au 22e rang dans le palmarès annuel de Reporters sans frontières (RSF), c’est essentiellement en raison de la surveillance des journalistes par le Service de police de la Ville de Montréal et la Sûreté du Québec, un scandale qui a donné naissance à la commission Chamberland, dont le mandat est d’assurer une meilleure protection des sources pour les journalistes.
Le Canada et le Québec, qui ne semble pas exister dans le rapport de RSF, vivent des situations enviables par rapport à d’autres pays dans le monde. En Corée du Nord, l’écoute d’une radio étrangère est punie par un séjour d’une durée indéterminée en camp de concentration. En Arabie saoudite, les journalistes peuvent être châtiés au fouet, un sort cruel réservé au blogueur Raïf Badawi. En Iran ou en Turquie, l’arrestation et l’emprisonnement arbitraires, entre autres sévices, guettent les journalistes. «Jamais la liberté de la presse n’a été aussi menacée», constate RSF. La situation est «difficile» ou «très grave» dans 72 des 180 pays recensés par l’organisme.
Une société démocratique ne devrait pas se comparer aux pires régimes sur la planète pour se consoler. Hormis quelques exceptions, telles que la création de la commission Chamberland et le resserrement des contrôles à la SQ et au DPCP quant aux enquêtes ciblant des journalistes, l’État en a fait trop peu pour améliorer les conditions d’exercice du journalisme.
Les mesures annoncées dans le dernier budget Leitão viendront aider, bien modestement, les journaux imprimés à renouveler leur modèle d’affaires. Cette aide n’assure pas une meilleure protection de la liberté de la presse.
De façon générale, les entraves au travail des journalistes sont accueillies avec un haussement d’épaules par nos dirigeants. On dirait presque qu’elles font partie du jeu.
D’un 3 mai à un autre, le bilan de l’année est décevant. L’initiative la plus intéressante mise en avant n’appartient ni au gouvernement Trudeau ni au gouvernement Couillard. Le sénateur Claude Carignan a pris les devants en présentant un projet de loi sur la protection des sources qui a recueilli un vaste consensus dans le monde du journalisme. Adopté par le Sénat, le projet de loi S-231 a passé mercredi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes. Pour l’essor et l’avenir du journalisme d’enquête, il faut souhaiter que le premier ministre Justin Trudeau exerce son leadership pour faire passer cette loi.
Puisque le Code criminel est de compétence fédérale, cette étape est un préalable pour assurer aux journalistes une meilleure protection. Une loi québécoise sur la protection des sources sera aussi nécessaire, en complément du régime fédéral.
Les reporters québécois ont contribué de longue date à la critique et à la surveillance des institutions démocratiques, par la qualité de leurs enquêtes. Les impairs occasionnels commis par les journalistes et la difficulté de cerner les contours du métier ne doivent plus servir d’excuses pour leur refuser un droit accru à la protection des sources.
Si la liberté de la presse est aussi importante qu’on le prétend tous les 3 mai, les gouvernements devraient sortir de leur inertie.