L’heure des fantômes
PERSONAL SHOPPER Thriller d’Olivier Assayas. Avec Kristen Stewart, Anders Danielsen Lie, Lars Eidinger, Nora von Waldstätten. France, 2016, 105 minutes.
Olivier Assayas possède cet art unique du détournement; il embrasse tous les genres, mais sait déjouer les codes pour nous conduire ailleurs. Qu’il s’agisse des vampires dans Irma Vep, des trafiquants de drogue dans Carlos ou des toxicomanes dans Clean, son approche privilégie les chemins de traverse, capable aussi de masquer la commande d’un grand musée pour livrer une chronique familiale doublée d’un état des lieux de la France (L’heure d’été).
L’heure est maintenant aux fantômes dans Personal Shopper, même si l’affirmation apparaît simpliste tant le cinéaste réussit une fois encore à entremêler ses préoccupations du moment dans une toile inextricable de secrets, de sentiments troubles et d’allusions sur nos névroses liées aux moyens de communication. Après Clouds of Sils Maria, il prolonge sa réflexion sur le vedettariat, ne se privant pas du pouvoir d’attraction des stars pour sa démonstration en renouant avec Kristen Stewart, à nouveau dans la peau d’une assistante, non pas d’une actrice, mais d’une top-modèle capricieuse à l’excès (Nora von Waldstätten).
Cet enjeu apparaît mineur étant donné les drames qui assaillent Maureen (Stewart), jeune Américaine en deuil depuis trois mois de son frère jumeau, découvrant qu’elle souffre de maux similaires qui pourraient aussi précipiter sa mort, torturée par ses dons de médium en quête d’un contact avec le disparu dans une maison en ruine qu’il souhaitait habiter avec sa copine. De la même façon qu’elle zigzague dans les rues de Paris avec sa motocyclette, cueillant au passage robes griffées et bijoux de chez Cartier, Maureen s’enroule dans une série d’intrigues, parfois rocambolesques (un allerretour à Londres en TGV, où elle est rivée à son iPhone et aux textos d’un inconnu, constitue un sommet de virtuosité angoissante), parfois dignes de la confusion des grandes héroïnes hitchcockiennes (l’assistante se glisse, ô sacrilège, dans les robes de sa patronne).
Démons d’écran et de tête
Mais que veulent les fantômes qui hantent les jours et les nuits de cette femme androgyne et indolente, toujours en mouvement mais constamment confinée à la solitude? Voilà l’habileté quasi machiavélique d’Olivier Assayas, celle de déployer les artifices d’un genre, reproduisant ici avec modestie des phénomènes paranormaux, pour mieux déjouer nos attentes et égratigner les convictions profondes de son héroïne. Une manière, brillante et retorse, de prendre ses distances, celles d’un auteur qui fait plus que remplir un cahier des charges.
En fait, le récit pullule de références (de l’écrivain Victor Hugo incarné par Benjamin Biolay aux audaces picturales de la peintre suédoise Hilma af Klint), explore avec sérieux les méandres du deuil, autant celui des êtres aimés à jamais disparus que celui des quêtes en apparence insensées — comme celle de communiquer avec l’au-delà. Et qui aurait cru qu’à ce jeu Kristen Stewart serait parfaitement à la hauteur? Elle s’y connaît en matière d’absurdités cinématographiques (bonjour Twilight), mais celle que plusieurs voient comme une réincarnation de James Dean avec sa dégaine je-m’en-foutiste bouscule tous nos préjugés. Son spleen d’expatriée désoeuvrée n’est en rien désincarné, ou fantomatique : ses démons sont à l’écran et, plus effroyable encore, dans sa tête…