Tout le monde peut être un troll
L’humeur et le contexte de la discussion peuvent faire sortir le pire de l’internaute moyen, selon une étude
Assis devant votre ordinateur, vous êtes interpellé par un article sur le système de justice. Vous êtes d’humeur maussade — satané lundi matin —, et le premier commentaire sous l’article vous enrage par son mépris. Vous sortez le clavier et pondez un commentaire virulent. Oui, vous êtes maintenant officiellement un «troll».
Un troll, moi? En fait, selon une étude menée par des chercheurs des universités Stanford et Cornell, ces internautes intempestifs ne sont pas une minorité d’introvertis en recherche de défoulement. En fait, disent-ils, tout le monde peut devenir un troll.
Les chercheurs Justin Cheng, Michael Bernstein, Cristian Danescu-Niculescu-Mizil et Jure Leskovec notent deux facteurs qui favorisent le déclenchement de ces comportements acides : l’humeur de l’internaute et le contexte ambiant de la discussion.
Pour ce faire, l’équipe d’universitaires a d’abord mené une expérience simulée. En premier lieu, les participants répondaient à un quiz de quinze questions, qui pour certains étaient simples et pour d’autres, ardues, modifiant ainsi leur humeur — ce sacré orgueil faisant son travail à l’affichage du résultat au-dessus ou en dessous de la moyenne. Suivait une discussion en ligne sur une interface similaire à ce qu’on peut trouver sur les sites d’informations. On y trouvait des commentaires de nature positive, et d’autres commentaires plutôt agressifs.
L’analyse des résultats a montré que l’humeur et le contexte avaient tous deux un impact sur la proportion de messages diffamatoires ou hors des règles de bonne entente sur la Toile. Dans un contexte positif et avec une humeur positive, le ratio de messages dignes des trolls était de 35 %, mais si l’humeur et le contexte étaient sombres, le pourcentage passait à 68 %.
L’épreuve des faits
Une fois la simulation menée, l’équipe de chercheurs a scruté la base de données des commentaires reçus sur le site CNN.com entre décembre 2012 et août 2013. L’échantillon comptait plus de 860 000 utilisateurs qui ont mené plus de 16 000 discussions et publié quelque 16,5 millions de commentaires.
L’analyse de ces données a révélé que 26% de tous les commentaires ayant été jugés comme problématiques par la communauté d’internautes avaient été écrits par des individus qui n’avaient jamais dépassé les bornes auparavant dans d’autres discussions. «Ces observations suggèrent que les utilisateurs ordinaires sont responsables d’une quantité significative» des messages abusifs.
Les données de CNN montrent aussi quelques tendances au sujet des trolls. Entre autres, les internautes corrosifs frappent davantage le soir que le matin, et plus le dimanche et le lundi que le reste de la semaine. Un utilisateur qui a publié un commentaire dépassant les bornes a aussi deux fois plus de chances de récidiver dans une autre discussion. L’étude montre aussi que les articles sur la justice, la santé, le showbiz et les actualités américaines et internationales sont des enjeux susceptibles de voir poindre les trolls.
La bonne nouvelle, dévoile les chercheurs, c’est que le temps panse les plaies, et que la colère s’effrite avec les minutes. Déjà une dizaine de minutes après un message abusif, les chances de récidive diminuent substantiellement.
Des actions
Sachant que l’humeur de l’internaute et le contexte de la discussion peuvent influer sur la nature des commentaires, l’étude propose quelques pistes pour établir des plateformes où la tentation de se muter en troll serait moins grande.
Les chercheurs évoquent une limite de commentaires qu’il est possible de faire dans un certain laps de temps, l’obligation de commenter à visage découvert, la possibilité de rapidement retirer un commentaire ou l’implantation d’une étiquette obligatoire.
En février, le réseau social Twitter présentait des actions pour lutter contre les trolls, entre autres en identifiant les personnes qui ont été suspendues du réseau de manière permanente afin de les empêcher de créer de nouveaux comptes.
En décembre, le site de Vice annonçait quant à lui la disparition pure et simple des commentaires, une approche que plusieurs médias ont choisie depuis quelques années.