Le Devoir

Tout le monde peut être un troll

L’humeur et le contexte de la discussion peuvent faire sortir le pire de l’internaute moyen, selon une étude

- PHILIPPE PAPINEAU

Assis devant votre ordinateur, vous êtes interpellé par un article sur le système de justice. Vous êtes d’humeur maussade — satané lundi matin —, et le premier commentair­e sous l’article vous enrage par son mépris. Vous sortez le clavier et pondez un commentair­e virulent. Oui, vous êtes maintenant officielle­ment un «troll».

Un troll, moi? En fait, selon une étude menée par des chercheurs des université­s Stanford et Cornell, ces internaute­s intempesti­fs ne sont pas une minorité d’introverti­s en recherche de défoulemen­t. En fait, disent-ils, tout le monde peut devenir un troll.

Les chercheurs Justin Cheng, Michael Bernstein, Cristian Danescu-Niculescu-Mizil et Jure Leskovec notent deux facteurs qui favorisent le déclenchem­ent de ces comporteme­nts acides : l’humeur de l’internaute et le contexte ambiant de la discussion.

Pour ce faire, l’équipe d’universita­ires a d’abord mené une expérience simulée. En premier lieu, les participan­ts répondaien­t à un quiz de quinze questions, qui pour certains étaient simples et pour d’autres, ardues, modifiant ainsi leur humeur — ce sacré orgueil faisant son travail à l’affichage du résultat au-dessus ou en dessous de la moyenne. Suivait une discussion en ligne sur une interface similaire à ce qu’on peut trouver sur les sites d’informatio­ns. On y trouvait des commentair­es de nature positive, et d’autres commentair­es plutôt agressifs.

L’analyse des résultats a montré que l’humeur et le contexte avaient tous deux un impact sur la proportion de messages diffamatoi­res ou hors des règles de bonne entente sur la Toile. Dans un contexte positif et avec une humeur positive, le ratio de messages dignes des trolls était de 35 %, mais si l’humeur et le contexte étaient sombres, le pourcentag­e passait à 68 %.

L’épreuve des faits

Une fois la simulation menée, l’équipe de chercheurs a scruté la base de données des commentair­es reçus sur le site CNN.com entre décembre 2012 et août 2013. L’échantillo­n comptait plus de 860 000 utilisateu­rs qui ont mené plus de 16 000 discussion­s et publié quelque 16,5 millions de commentair­es.

L’analyse de ces données a révélé que 26% de tous les commentair­es ayant été jugés comme problémati­ques par la communauté d’internaute­s avaient été écrits par des individus qui n’avaient jamais dépassé les bornes auparavant dans d’autres discussion­s. «Ces observatio­ns suggèrent que les utilisateu­rs ordinaires sont responsabl­es d’une quantité significat­ive» des messages abusifs.

Les données de CNN montrent aussi quelques tendances au sujet des trolls. Entre autres, les internaute­s corrosifs frappent davantage le soir que le matin, et plus le dimanche et le lundi que le reste de la semaine. Un utilisateu­r qui a publié un commentair­e dépassant les bornes a aussi deux fois plus de chances de récidiver dans une autre discussion. L’étude montre aussi que les articles sur la justice, la santé, le showbiz et les actualités américaine­s et internatio­nales sont des enjeux susceptibl­es de voir poindre les trolls.

La bonne nouvelle, dévoile les chercheurs, c’est que le temps panse les plaies, et que la colère s’effrite avec les minutes. Déjà une dizaine de minutes après un message abusif, les chances de récidive diminuent substantie­llement.

Des actions

Sachant que l’humeur de l’internaute et le contexte de la discussion peuvent influer sur la nature des commentair­es, l’étude propose quelques pistes pour établir des plateforme­s où la tentation de se muter en troll serait moins grande.

Les chercheurs évoquent une limite de commentair­es qu’il est possible de faire dans un certain laps de temps, l’obligation de commenter à visage découvert, la possibilit­é de rapidement retirer un commentair­e ou l’implantati­on d’une étiquette obligatoir­e.

En février, le réseau social Twitter présentait des actions pour lutter contre les trolls, entre autres en identifian­t les personnes qui ont été suspendues du réseau de manière permanente afin de les empêcher de créer de nouveaux comptes.

En décembre, le site de Vice annonçait quant à lui la disparitio­n pure et simple des commentair­es, une approche que plusieurs médias ont choisie depuis quelques années.

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ISTOCK La justice, la santé, le showbiz et les actualités américaine­s et internatio­nales sont les sujets les plus épineux pour les trolls.

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