Le Devoir

La Hongrie veut remettre les migrants en prison

- FLORENCE LA BRUYÈRE à Budapest

C’est un pied de nez à l’Union européenne. En 2013, le premier ministre ultranatio­naliste hongrois Viktor Orbán avait renoncé à la détention systématiq­ue des demandeurs d’asile, sous la pression de l’UE, du Haut-Commissari­at des Nations unies aux réfugiés et de la Cour européenne des droits de l’homme. Une mesure contraire au droit internatio­nal. Mais voilà qu’Orbán le souveraini­ste persiste et signe. Mardi, son parti (Jeunes Démocrates, droite populiste), qui détient la majorité des deux tiers au Parlement, a adopté une loi réintrodui­sant la détention automatiqu­e. L’homme fort de Budapest avait reconnu il y a quelques semaines que ce texte «irait ouvertemen­t contre l’UE». La loi, rétroactiv­e, s’applique tant aux nouveaux venus qu’aux 586 demandeurs d’asile que comptait le pays en février.

Alors que 400 000 migrants avaient transité par la Hongrie en 2015, le pays ne laisse plus pénétrer qu’un petit filet de demandeurs d’asile qui souhaitent entrer légalement dans le pays, sans se risquer à franchir la clôture de barbelés. Dix personnes sont admises chaque jour dans les deux zones de transit à la frontière — des camps de conteneurs — où elles déposent leur requête. Après environ deux semaines, les admissible­s, en majorité des femmes, des malades et des enfants, sont transférés dans des centres d’accueil pour réfugiés pour y attendre que l’administra­tion statue sur leur sort. Ils peuvent en franchir les grilles et se rendre au supermarch­é du coin ou à l’antenne locale de Western Union, pour y collecter de l’argent envoyé par des proches. Les plus fortunés s’évanouisse­nt dans la nature et parviennen­t à gagner l’Autriche grâce à un passeur sans attendre la décision des autorités.

Prison à ciel ouvert

C’est ce que la nouvelle loi va changer. Désormais, les demandeurs d’asile ne seront plus logés dans ces centres mais cantonnés pour une période indéfinie dans ces «zones de transit », où ils dormiront dans des conteneurs encerclés de barbelés. Une prison à ciel ouvert. «Cette loi viole tous les traités internatio­naux et européens signés par la Hongrie et elle va avoir un impact physique et psychologi­que terrible sur des hommes, des femmes et des enfants qui ont déjà beaucoup souffert», s’alarme le Haut-Commissari­at des Nations unies aux réfugiés. Sur les 1000 personnes ayant demandé l’asile depuis le 1er janvier 2017, la majorité vient de l’Afghanista­n (420), de l’Irak (199) et de la Syrie (154).

Mais la loi a aussi un autre but: dénier le droit d’asile à un nombre maximum de requérants. S’il est jugé non admissible ou si son dossier est rejeté, « un réfugié n’aura que trois jours pour faire appel; comment voulez-vous qu’il réussisse alors qu’il est dans un camp de conteneurs, qu’il ne parle pas le hongrois et qu’il n’est pas sûr d’avoir une aide légale? souligne Marta Pardavi, coprésiden­te du comité Helsinki de Hongrie. Cette loi est une provocatio­n de la part du gouverneme­nt, un test pour tenter de démanteler le droit européen. »

Au moment même où était votée la loi, Viktor Orbán prononçait un discours devant 462 «chasseurs frontalier­s» qui venaient de prêter serment. La Hongrie est en train de recruter 3000 jeunes hommes et femmes qui, après une formation de six mois, patrouille­ront à la frontière, des armes à la main. «Nous sommes actuelleme­nt assiégés», a clamé le premier ministre. Quelle armée menace donc la Hongrie ? «La migration, le cheval de Troie du terrorisme. » Face à ce péril, a clamé Orbán, «on ne peut pas compter sur Bruxelles et l’Union européenne, mais uniquement sur nous-mêmes».

Depuis deux ans, Viktor Orbán a créé une psychose antimigran­ts et anti-réfugiés qui tétanise une bonne partie de ses compatriot­es. Et la psychose porte ses fruits: plus de trois millions de Hongrois ont voté par référendum contre l’accueil des réfugiés.

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