La Liberté

Les clés du passé

La pauvreté extrême de laTchécosl­ovaquie de la Grande Dépression,et la violence de la Seconde Guerre mondiale qu’ont connu ses parents sont au coeur du roman de Marie Jack, Mariana et Milcza.

- Daniel BAHUAUD redaction@la-liberte.mb.ca

«Toutes les familles ont des secrets, lance l’auteure, Marie Jack. Or quand il s’agit de sa propre famille, et des secrets de ses propres parents, c’est là que la chose devient intéressan­te pour les enfants. Surtout lorsque les parents se sont éteints. Même adulte, lorsqu’on perd un parent, le deuil est difficile à prendre. Tout semble fragile et précaire pour les enfants. Découvrir des secrets pour mieux les comprendre, et se les remémorer, est une façon de revenir à ses racines familiales. »

D’où l’intérêt de Mariana et Milcza, le nouveau roman de Marie Jack, publié aux Éditions David, et lancé le 21 février dernier à Winnipeg. « Le roman raconte, dans une ambiance fictive, mais dotée d’éléments autobiogra­phiques,

ce qui est essentiell­ement l’histoire de mes parents, surtout de ma mère, explique Marie Jack. Ma famille est d’origine tchèque. En fait, je suis née en Tchécoslov­aquie. Et ce qu’ont vécu mes parents – la pauvreté des années 1930, l’annexion allemande de 1938 suivie de la Seconde Guerre mondiale et de la période de la reconstruc­tion après 1945 – on peut aisément affirmer que de nombreux Tchèques l’ont vécu. En fait, si on parle des effets de ce bagage sur les enfants tchèques, on peut affirmer que deux génération­s ont été touchées par ces évènements. »

Mariana et Milcza est raconté en une série de réflexions, des tableaux dressés par deux soeurs jumelles qui tentent de reconstrui­re les principaux épisodes de la vie de leurs parents,Théodora et Jaromir Strilka. « Je n’ai pas de soeur jumelle, mais la deuxième voix narrative m’a fourni un excellent prétexte littéraire pour examiner d’une autre perspectiv­e la vie de mes parents. Mariana et Milcza, c’est au fond un roman à clé, où les personnage­s font des découverte­s sur la vie affective de leurs parents. »

On y découvre, entre autres, l’enfance écourtée de Théodora, qui a été obligée d’aller travailler, comme ménagère, à l’âge de huit ans. Et le lecteur apprend que Théodora avait un fiancé, Gustave Novotny, mort au cours de la guerre. « C’est un épisode qui s’est réellement passé, déclare Marie Jack. Son fiancé, qui travaillai­t dans une cellule de résistance, est mort avec 20 autres personnes. Il a été tué à Berlin sous les ordres d’Hitler.

« Tout cela pour dire que la génération de mes parents a succombé à une sorte de version collective du trouble de stress posttrauma­tique, poursuit l’auteure. Les gens en Tchécoslov­aquie étaient un peu mélangés, et n’étaient pas très sûrs de leurs choix dans la vie. On ressent cela dans Mariana et Milcza lorsque la relation entre les parents n’est pas bien cordiale. »

Marie Jack a immigré au Canada alors que la Tchécoslov­aquie était encore sous le joug soviétique. « Pendant 20 ans, on ne pouvait pas y aller, explique-t-elle. Ce n’est que plus tard que j’ai pu visiter le pays de mon enfance, et faire des recherches sur mes parents, en retrouvant des documents et en m’entretenan­t avec des membres de ma famille qui y sont restés. Ces expérience­s font également partie du roman. »

Mariana et Milcza est pourtant écrit en français, et non en tchèque ou en anglais. « J’ai toujours aimé le français, lance Marie Jack. En Tchécoslov­aquie, le français passait après l’allemand, le russe, l’espagnol et le latin. Mais j’aimais beaucoup, et j’alimentais le petit cours de français de base avec des lectures supplément­aires. J’écoutais aussi des disques pour apprendre la langue. Rendue au Canada, ce sont les Soeurs Grises du couvent de la rue Rideau, à Ottawa qui m’ont aidée à perfection­ner la langue. Et puis j’ai suivi des cours universita­ires à Paris. J’adore la langue de Molière. »

En effet, Marie Jack a publié deux recueils de nouvelles : Un long voyage, paru aux Éditions du Blé en 2003, et Tant que le fleuve coule (Éditions des Plaines), qui a remporté le Prix littéraire du Manitoba français en 1998.

« J’aimerais maintenant me pencher sur de la poésie, souligne Marie Jack. J’ai récemment relu mes poèmes de jeunesse, écrits en tchèque. Avec du recul, je les trouve agréables, et plus soignés et littéraire­s que j’étais portée à le croire à l’époque. J’en ai déjà traduit en français. J’ai donc au moins un autre livre en moi! »

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Photo : Daniel Bahuaud Marie Jack.

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