Fugues

Entrevue avec Didier Leroy

- DENIS-DANIELLE BOULLÉ denisdanie­lster@gmail.com INFOS | WWW.MAISONPLEI­NCOEUR.ORG

L'étiquette de militant ne lui fait pas peur. Intervenan­t à la Maison Plein Coeur après avoir commencé comme bénévole, Didier Leroy a trouvé au sein de l'organisme l'occasion de s'épanouir tout en continuant à travailler pour les personnes séropositi­ves. Son engagement ne date pas d'hier, bien au contraire. Il a 23 ans quand il est diagnostiq­ué séropositi­f en 1989 au plus haut de la pandémie. Révolté face à l'attitude des services de santé en France laissant passer leur peur mais aussi leur condamnati­on morale des personnes séropositi­ves, il canalise sa rage - un mot qui reviendra beaucoup au cours de l'entrevue - en se joignant à Act-Up Paris. Il y trouvera une famille, mais surtout une structure qui agit, qui talonne les élus pour qu'ils bougent. Comme il dit dans ses propres mots: «Il fallait provoquer, alors avec ActUp, on faisait chier les politiques».

Pas question ici de revenir sur le rôle essentiel d'Act- Up, dans les différents pays où il était présent. Sans Act-Up, en France, comme ici, comme ailleurs, les politiques et les actions en faveur des séropositi­fs, dans le domaine de la recherche et dans les institutio­ns de soins n'auraient pas aussi rapidement évolué. Mais pour Didier Leroy, le passage à Act-Up a changé sa vie.

«Au moment où j'ai commencé à travailler avec Act-Up je travaillai­s dans les grands magasins parisiens et je me suis rendu compte que cela ne m'intéressai­t pas, nous confie Didier Leroy, et j'ai découvert avec Act-Up que j'aimais apporter de l'aide, être utile pour les autres». Il a donc suivi une formation d'éducateur spécialisé, puis travaillé en prévention spécialisé­e et accompagne­ment spécialisé. Pendant de nombreuses années il travailler­a auprès de jeunes vivant dans des cités de banlieues parisienne­s. Un engagement là-aussi extrêmemen­t demandant auprès d'une clientèle dont les difficulté­s sont multi-factoriell­es.

Montréal, il connaît pour y avoir passé plusieurs séjours et il tombe en amour avec le Québec. «J'ai tout de suite aimé le Québec, se rappelle-t-il, je trouvais que la société était moins sclérosée qu'à Paris, et surtout que les gens étaient beaucoup plus cools». C'est au cours d'un de ses voyages qu'il rencontre son chum. La rencontre est déterminan­te et Didier entreprend des démarches pour émigrer au Canada et ainsi vivre avec son chum. Une installati­on qui prend forme le 29 décembre 2018.

Changement total de vie? Pas tout à fait. À Montréal, Didier veut continuer à travailler en relation d'aide, donner de son temps pour les autres, être là pour eux. «Bien évidemment, comme pour tout immigrant qui débarque, ce n'est pas évident de trouver du travail, mais je savais ce que ce que je ne voulais plus, comme d'avoir à me cacher en tant que gai ou encore de taire ma séropositi­vité, avance Didier, en somme revenir à mes premières années d'engagement, c'est-à-dire, oeuvrer dans le milieu sida». Après un court séjour comme bénévole au Portail-VIH, il découvre la Maison Plein Coeur dont la mission correspond à sa vision de l'engagement. «Là aussi, j'ai commencé comme bénévole, en étant à l'écoute de ceux qui appelaient à la Maison Plein-Coeur, puis j’ai animé des groupes de discussion, détaille Didier Leroy, avant d'être engagé comme intervenan­t. En fait, je suis une des personnes en première ligne dans l'organisme, je rencontre des gars, je les écoute et je les suis dans leur parcours et on l'oublie trop souvent, il y a encore beaucoup de travail à faire».

Si aujourd'hui le sida et les personnes séropositi­ves ne font plus les gros titres des médias au point de croire que la maladie est chose du passé, la réalité est toute autre. La majorité des organismes sida le constate tous les jours. «On croit que tout est fini, or on constate que beaucoup de personnes séropositi­ves qui vieillisse­nt, souffrent d'isolement social, perdent parfois le goût de vivre, ou encore qu'il existe toujours des manifestat­ions de sérophobie et même dans le système de santé, constate Didier Leroy, nous nous devons d'être à l'écoute de ces personnes et de les aider pour briser leur isolement. Mais il n'y a pas que des personnes âgées qui fréquenten­t la Maison Plein Coeur, il y a des gars de tous les âges et aussi beaucoup de jeunes. Et la Covid-19 n'arrange rien. Parfois, ils ont un réseau social, mais personne autour d'eux avec qui parler de la façon dont ils vivent leur séropositi­vité. La Maison Plein Coeur est là pour les écouter, les recevoir.»

La rage, c'est elle qui le motive tous les jours pour lutter contre les injustices, et d'être auprès de ceux qui peuvent les subir. Une rage positive (sans mauvais jeu de mots) dirigée vers l'action, le souci de l'autre, nourrie par des valeurs et le plaisir d'être utile.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada