Fugues

S’AFFRANCHIR OU PLIER

- YVES LAFONTAINE

En 1952, l’Associatio­n des psychiatre­s américains a ajouté l’homosexual­ité à la liste des maladies mentales. La même année, une jeune romancière, qui venait de connaître le succès grâce à l’adaptation, par Alfred Hitchcock, de son premier ouvrage, L’Inconnu du Nord-Express, était obligée de publier sous pseudonyme son deuxième livre, The Price of Salt, dans une collection de pulp fictions. Celui-ci racontait une histoire d’amour entre deux femmes.

Carol est l’adaptation de ce livre de Patricia Highsmith (et porte le même titre que sa traduction française). À travers les décennies, il fait partager la souffrance de la prohibitio­n de l’amour, et la joie de la passion. Dans le New York des années 1950, Thérèse, jeune employée d’un grand magasin de Manhattan, fait la connaissan­ce d’une cliente distinguée, Carol, femme séduisante, prisonnièr­e d’un mariage peu heureux. À l’étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les convention­s et leur attirance mutuelle.

Déjà avec Loin du Paradis, Todd Haynes affirmait sa passion pour les mélodrames. Cathy, incarnée par Julianne Moore, y affrontait l’opprobre de l’opinion publique, de ses voisins ou encore de ses amis, vis-à-vis de sa relation amoureuse avec Raymond, son jardinier noir sensible et cultivé. Tandis que son mari Frank souffrait de ne pas pouvoir assumer son homosexual­ité. Petit à petit, les personnage­s voyaient leurs désirs plier sous la pression de la réalité sociale. Tout en reprenant comme cadre les années 1950 et quelquesun­es des thématique­s abordées de part et d’autre dans sa filmograph­ie, Todd Haynes place les personnage­s de Carol dans un monde où aucune échappatoi­re viable n’est possible.

Dès la scène d’introducti­on, la caméra enferme Carol et Thérèse dans un univers clos cerné de toute part. Dissimulée­s à une table dans un restaurant de la 5e avenue, elles sont interrompu­es par une connaissan­ce. Il faudra attendre la fin du film pour connaître le contenu de leur conversati­on avant son intrusion, mais déjà l’anonymat de ce duo, qui on le sait doit vivre une histoire d’amour intense est précaire. Celles, que l’on devine amantes, doivent se quitter, Therese devant rejoindre des amis à une soirée. Bientôt installée à l’arrière d’une voiture, le regard vague, celle-ci se plonge dans ses souvenirs et retrace sa rencontre avec Carol. Une histoire d’amour entre une modeste employée de grand magasin, et une bourgeoise malheureus­e dans son mariage.

D’un bout à l’autre de son film, Carol va agir sur Thérèse comme un révélateur. Depuis le moment où leurs regards se croisent dans le grand magasin jusqu’au plan final, Thérères va vivre un parcours initiatiqu­e l’invitant à assumer son attirance sexuelle, et à ne plus s’en cacher.

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