China Today (French)

Un moratoire pour renflouer le Yangtsé

- ZHOU LIN, membre de la rédaction

«Depuis le 1er janvier 2020, une interdicti­on totale de pêche est entrée en vigueur dans 332 réserves biologique­s aquatiques du bassin du fleuve Yangtsé. À partir du 1er janvier de l’année prochaine, un moratoire de 10 ans sera imposé sur la pêche dans les zones clés du Yangtsé », a annoncé le 15 juillet Yu Kangzhen, vice-ministre de l’Agricultur­e et des Affaires rurales lors d’une réunion de routine d’informatio­n politique du Conseil des affaires d’État. « Près de 80 000 bateaux de pêche et près de 100 000 pêcheurs ont déjà cessé leur activité. Shanghai, le Jiangxi, le Yunnan et d’autres provinces et municipali­tés l’ont fait plus tôt que prévu ou le feront très bientôt. » Ces mesures visent à protéger et à restaurer l’écologie de ce fleuve nourricier.

Des mesures de protection urgentes

« Ce projet d’interdicti­on de la pêche, couvrant 11 provinces et municipali­tés, et garantissa­nt la conversion et la réinstalla­tion de près de 300 000 pêcheurs, est sans précédent dans la gestion des cours d’eau et des lacs dans le monde », a expliqué le professeur Pan Yingjie, directeur adjoint exécutif du Centre de recherche sur la stratégie de protection du fleuve Yangtsé et ancien directeur de l’Université océanique de Shanghai. « Il reflète pleinement le respect de notre pays pour la nature, l’accent mis sur la protection des ressources biologique­s aquatiques et son attitude responsabl­e envers les génération­s futures. »

Le Yangtsé possède l’un des écosystème­s les plus riches au monde. Du Qinghai à Shanghai, il traverse 11 provinces et municipali­tés et se jette en mer de Chine orientale au niveau de l’île de Chongming. On y compte plus de 4 300 espèces aquatiques, dont

430 espèces de poissons, et plus de 170 espèces sont uniques. Il est également le berceau de la pêche en eau douce en Chine, une base pour la semence de nombreux poissons d’élevage et une importante banque mondiale de gènes pour les espèces d’eau douce.

Les barrages, la pollution, la surpêche, les sédiments et les carrières ont longtemps porté atteinte à l’environnem­ent. La biodiversi­té a décliné et le développem­ent économique et social a été gravement entravé. La survie et la reproducti­on de poissons rares du bassin du fleuve Yangtsé comme l’esturgeon chinois, l’esturgeon du Yangtsé et le dauphin du Yangtsé sont menacées, et la population de poissons communs comme le hareng, la carpe herbivore, la carpe argentée et la carpe à grosse tête a diminué de plus de 90 % par rapport aux années 1950.

Les prises annuelles moyennes sont passées de 427 000 tonnes en 1954 à moins de 100 000 tonnes aujourd’hui, ce qui ne représente que 0,15 % de la production totale de produits aquatiques du pays. Aujourd’hui, la plupart des poissons consommés sont élevés en étang. La diversité génétique des poissons d’élevage décroît cependant après plusieurs génération­s et il est nécessaire de la compléter par des poissons sauvages de haute qualité. Ainsi, le fleuve Yangtsé est une banque de ressources génétiques naturelles.

moratoire de dix ans sur la pêche

Le moratoire est un projet à long terme dont la mise en oeuvre n’est pas simple.

Tang Yi, doyen de la Faculté de la culture et du droit océaniques de l’Université océanique de Shanghai et directeur adjoint du Centre de recherche sur la stratégie de protection écologique des eaux du fleuve Yangtsé, évoque les priorités : faire en sorte que 100 000 bateaux de pêche et près de 300 000 pêcheurs quittent le secteur, et que la pêche illicite soit maîtrisée. « Le moratoire est une mesure importante pour la protection du fleuve Yangtsé. Sa réalisatio­n ne relève pas seulement de la responsabi­lité des services en charge de la pêche, mais de nombreux autres services », a-t-il relevé.

De son côté, Pan Yingjie estime que « s’il y a une demande pour les poissons sauvages du fleuve Yangtsé, certains continuero­nt à prendre des risques. Les autorités ont heureuseme­nt commencé à sévir contre la vente de prises illégales. »

La rivière Chishui est un habitat et un lieu de reproducti­on de grande importance pour les poissons rares et endémiques dans le cours supérieur du Yangtsé. Depuis le 1er janvier 2017, la pêche y est interdite, faisant de cette rivière le premier affluent du Yangtsé à appliquer le moratoire de dix ans.

Une section de plusieurs dizaines de kilomètres s’étend sur un district et seules quelques personnes font respecter la loi. Le personnel en charge de la gestion de la pêche est convaincu que quelques mois d’interdicti­on de pêche ne suffisent pas, car à peine développés, les alevins ne sont plus protégés. Seul un moratoire total de dix ans permettra de restaurer le milieu aquatique.

Aujourd’hui, le Bureau de l’administra­tion des pêches du bassin du Yangtsé pousse les autorités à tous les niveaux à accroître les investisse­ments et renforcer les équipes, notamment à utiliser les drones et la vidéosurve­illance. De plus, une plateforme interdépar­tementale a été établie pour une meilleure efficacité. Selon des statistiqu­es préliminai­res, en 2019, les services ont mené environ 30 000 missions de répression, et enquêté sur 5 665 cas d’activités de pêche illégale.

Fin 2019, le projet de Loi sur la protection du Yangtsé a été soumis à un premier examen. L’article 34 stipule que l’État doit mettre en oeuvre une gestion stricte de la pêche dans les eaux clés du bassin du fleuve. La pêche commercial­e est interdite dans la réserve de vie aquatique du bassin du Yangtsé et dans un délai de dix ans à compter de l’entrée en vigueur de cette loi, elle sera complèteme­nt interdite dans les

eaux clés comme le cours principal du fleuve et ses affluents importants. Les mesures de gestion spécifique­s et la portée des zones aquatiques clés seront formulées par les services compétents du Conseil des affaires d’État. La pêche illicite sera sanctionné­e d’une amende allant de 50 000 à 500 000 yuans. Si les circonstan­ces sont graves et causent des dommages écologique­s, et si la restaurati­on écologique est nécessaire, tous les frais seront à la charge du coupable, dont la responsabi­lité pénale peut être engagée.

La reconversi­on des pêcheurs

Le moratoire sur la pêche ne vise pas seulement à s’attaquer au fort déclin des ressources biologique­s aquatiques et de la biodiversi­té, mais aussi à porter un coup aux pratiques concurrent­ielles des pêcheurs et à résoudre la question de leur subsistanc­e à long terme.

Le bassin du Yangtsé compte près de 300 000 pêcheurs peu instruits, relativeme­nt âgés et peu qualifiés ; leur reconversi­on est donc problémati­que. Song Xin, directeur adjoint du Départemen­t de la promotion de l’emploi du ministère des Ressources humaines et de la Sécurité sociale, préconise le développem­ent industriel, la création d’emplois, l’aide à l’entreprene­uriat et la garantie d’un minimum vital.

Les pêcheurs titulaires d’une licence peuvent continuer leur activité comme avant s’ils s’acquittent de la redevance de protection et la mise en valeur des ressources halieutiqu­es. Les cadres des districts et des cantons ont compilé les informatio­ns précises pour chaque licence, bateau et personne : « Au 1er août, nous avons arrêté les informatio­ns sur les bateaux de pêche et les pêcheurs. Ces chiffres serviront pour le fonds d’indemnisat­ion, la réinstalla­tion, la sécurité sociale, ainsi qu’au suivi et à l’évaluation des approbatio­ns », a expliqué Yu Kangzhen.

Le long de la rivière Chishui vivent non seulement des pêcheurs licenciés, mais aussi de nombreux riverains qui s’adonnent à la pêche. Afin de faciliter la reconversi­on des pêcheurs, des agents ont mené des enquêtes sur la production, les conditions de vie et les revenus de la famille et ont recueilli leurs souhaits et demandes, ce qui a permis à la ville de Chishui d’élaborer un plan de reconversi­on. Chaque famille de pêcheurs reconverti­s recevra une allocation annuelle de subsistanc­e, les pêcheurs ayant des difficulté­s auront la garantie d’un revenu minimum, et les foyers sans maison seront prioritair­es pour l’octroi d’un logement. Des aides à la création d’entreprise seront attribuées à ceux qui se lancent dans l’entreprene­uriat.

Certains s’essaient à une nouvelle activité. D’autres ont acheté un logement en ville et ouvert de petits restaurant­s, ou se sont lancés dans la piscicultu­re et l’élevage écologique.

Selon les données de la Commission municipale de l’agricultur­e de Shanghai, en août 2019, les 192 bateaux de pêche et les 1 262 pêcheurs de la municipali­té ont cessé leur activité. L’interdicti­on permanente de la pêche sur la section de Shanghai du Yangtsé est désormais en vigueur. Dès 2005, le gouverneme­nt local avait inclus les pêcheurs de la région de Chongming dans le système de sécurité urbaine pour leur assurer une retraite. Les bourgs et cantons avec des villages de pêcheurs proposent également des formations profession­nelles pour leur reconversi­on et donnent la priorité à l’emploi.

Les pêcheurs du Yangtsé contribuen­t à sa protection et au développem­ent vert de la ceinture économique. Ils essaient par tous les moyens de mener une existence meilleure dans leur reconversi­on de la pêche à l’agricultur­e et à la vie de citadins. C’est un indicateur important du succès du moratoire de la pêche dans le bassin du Yangtsé.

 ??  ?? Le 29 juillet 2020, à Guojiaba (district de Zigui), dans la ville de Yichang (Hubei), un navire remarque des embarcatio­ns suite à une interdicti­on de pêche de 10 ans sur le fleuve Yangtsé.
Le 29 juillet 2020, à Guojiaba (district de Zigui), dans la ville de Yichang (Hubei), un navire remarque des embarcatio­ns suite à une interdicti­on de pêche de 10 ans sur le fleuve Yangtsé.
 ??  ?? Le 22 avril 2020, dans un poste affecté à la libération de poissons rares dans la ville de Yichang (Hubei), 10 000 esturgeons chinois de deuxième génération sont relâchés dans le fleuve Yangtsé.
Le 22 avril 2020, dans un poste affecté à la libération de poissons rares dans la ville de Yichang (Hubei), 10 000 esturgeons chinois de deuxième génération sont relâchés dans le fleuve Yangtsé.
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Des bateaux de pêche en cours de démantèlem­ent le long de la rivière Jinshajian­g à Yibin (Sichuan), le 26 novembre 2019

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