L’ENFANT DES ÎLES
Je suis un enfant des Îles, De la mer et des grands vents Modelé de sable et d’argile
Et coiffé de goémon
C’est ce qui jouait cet après-midi-là dans mon walkman à cassette autoreverse avec ses écouteurs à cerceau métallique et ses oreilles en moussemousse orange. J’écoutais ça en marchant tranquillement sur la plage de la Martinique. Je ne le savais pas encore, mais ce refrain-là allait devenir tranquillement pas vite un élément marquant de mon identité madelinienne. C’est la chanson qui m’a connecté pour la première fois avec la fierté d’être qui je suis, de venir d’où je viens.
J’ai toujours aimé l’auteur-compositeur et interprète madelinot Didier Turbide.
Je me souviens même de la première fois de ma vie que je l’ai vu en spectacle. C’est mes tantes qui m’avaient amené le voir en se disant que j’allais sûrement aimer ça. C’est alors que j’ai découvert un conteur fantastique et un chanteur de chez nous qui nous chantais simplement chez-nous. Je suis reparti de là avec la cassette et je l’ai usé à la corde. La vie dans la mer me faisait danser, Le bingo me faisait rire, Moi j’décolle pour Montréal me faisait rêver. En plus, à l’âge que j’avais, entendre les mots «si tu pousses un pet dans ton canton, ça boucane dans tous les fonds d’canneçon» dans une chanson, c’était le rêve. Et que dire de la chanson Les premiers téléphones qui raconte le moment où ce moyen de communication débarque sur une île où la palabre occupe une place si importante. Il ne pouvait pas démontrer mieux ça qu’avec le «chose m’a dit que chose y a dit, que machine y avait dit…»
À partir de là, j’ai pas mal toujours suivi Didier avec ses «r» parfois cachés dans sa prononciation.
Sur son deuxième album, c’est vraiment la chanson L’enfant des Îles qui a rapidement attiré mon attention. J’avais l’impression d’entendre quelqu’un se vanter. Se permettre d’être un peu faraud avec ses racines. On avait déjà chanté «Je voudrais être madelinot» en se mettant dans la peau de quelqu’un d’en dehors, mais là, pour moi, c’était la première fois que j’entendais quelqu’un crier notre origine à plein poumon. Et même si je n’avais qu’une dizaine d’années, on aurait dit que ça faisait du bien d’entendre ça.
Cet après-midi-là, dans mon walkman à cassette autoreverse avec ses écouteurs à cerceau métallique et ses oreilles en mousse-mousse orange, je l’ai écouté aller-retour, sans arrêt. Et Dieu sait que ce n’était pas évident à l’époque d’écouter une seule chanson sur une cassette. Fallait la faire reculer et arrêter le review au bon moment.
Puis, plusieurs années plus tard, j’ai travaillé à Arrimage, la corporation culturelle des Îles. Un jour, entre dans le bureau un grand monsieur, plutôt discret. Comme j’étais concentré, je n’ai pas trop porté attention. C’est alors que j’ai entendu sa voix… et les «r» qui se cachait subtilement dans sa prononciation. C’était Didier.
On ne le voyait plus beaucoup en spectacle à cette époque-là. Il avait besoin de quelques photocopies et c’est moi qui l’avais aidé avec ça. Pour faire la conversation, je lui avais maladroitement demandé Pis? Me semble que ça fait longtemps qu’on vous a vu en spectacle? Il m’avait répondu: Ah, tu sais c’que c’est: Nul n’est prophète en son pays. Et ça m’avait fait beaucoup de peine d’entendre ça. Heureusement, depuis quelques années, il a repris les spectacles. Un pays doit savoir garder ses prophètes bien en vue. Ainsi soit-il!
Sans le savoir, Didier Turbide, par ses écrits et ses chansons, a été une source d’inspiration pour moi. L’humour et l’émotion peuvent cohabiter. Il suffit de les mélanger avec délicatesse et habileté. Et ça, Didier a toujours su bien le faire. Ses spectacles m’ont faire rire et m’ont ému dans le passé et me restent encore en tête aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce qui jouait cet après-midi-là dans mon ordinateur pendant que j’écrivais ce texte.
Enfant des Îles un jour, enfant des Îles toujours.
Le soleil brille sur mon île
J’ai apprivoisé le temps
J’ai fini mon domicile
En plumes de goélands
On se r’parle!