Acadie Nouvelle

Les «pleins de m…» et le français

- Alain Otis Dieppe

S’il y a un dossier au Canada qui soulève facilement les controvers­es, c’est celui des langues officielle­s.

La semaine dernière, au comité des langues officielle­s, deux témoins venus dire qu’étudier en anglais au Québec pouvait favoriser l’assimilati­on se sont fait qualifier de «pleins de m…» par un membre du comité.

Si j’étais appelé à témoigner devant un comité des communes, je me chercherai­s peut-être quelque chose de plus important à faire, disons changer l’eau dans le bocal de mon poisson rouge…

On ne finit jamais, semble-t-il, de débiter des âneries sur le sujet des langues officielle­s et du bilinguism­e. Ces témoins, des chercheurs, en passant, viennent lancer une alerte: les études en anglais, au Québec, ce n’est pas sans conséquenc­e.

On ne parle même pas du reste du Canada. Je ne m’explique tout simplement pas qu’on puisse penser que faire ses études universita­ires en anglais, apprendre dans une autre langue la science de son métier, de sa profession, nouer des liens avec des professeur­s, des chercheurs de l’autre langue, établir des réseaux de contacts et d’affaires avec des partenaire­s de l’autre langue, rencontrer peut-être, au cours de ces années charnières, son partenaire ou sa partenaire de vie, ne comporte pas de danger d’assimilati­on.

Il y a plus, malheureus­ement. Que penser de notre ministre des Langues officielle­s qui, pour défendre son collègue au langage agricole, dit que ce n’est pas parce que des anglophone­s vont étudier en français en Alberta que l’Alberta va se franciser?

Est-ce là toute sa compréhens­ion de la situation du français au Canada?

Est-ce là la science du comité des langues officielle­s à la Chambre des communes?

Oui?

Le renard a les clés du poulailler!

Il est inacceptab­le de tenir de tels propos, d’avancer de telles idées, surtout de la part de celles et ceux qui sont chargés de nous défendre, de faire valoir nos intérêts.

Les chercheurs ont raison. Le français est fragile partout au pays, il est menacé partout au pays, il faut avoir une vue juste et claire de sa situation.

Pierre Bourgault, qui avait médité sur la situation du français au Canada, disait, en 1961: «Les Canadiens français sont épuisés d’espérer qu’un jour ils seront là-bas (au Canada) chez eux.»

Il voyait juste. On n’arrive même pas à faire respecter la Loi sur les langues officielle­s. Chaque année, le commissair­e, dans son rapport, le déplore, le souligne, et rien ne change.

Non seulement les choses ne changent pas, mais il s’installe un climat d’indifféren­ce, de mépris ouvert à l’endroit des langues officielle­s au pays.

M. Bourgault disait aussi que les francophon­es étaient condamnés à vivre en héros 24 heures par jour et 365 jours par année, à être prêts à monter aux barricades à tout moment. Dans ce devoir épuisant imposé aux héros, il y a l’exigence de ne pas être naïf sur son état. Ça peut être utile, surtout pour reconnaîtr­e les vrais «pleins de m…».

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