Acadie Nouvelle

LA MINISTRE LEBOUTHILL­IER DOIT CHANGER DE CAP

- FRANÇOIS GRAVEL francois.gravel@acadienouv­elle.com

C’est la colère et la consternat­ion dans des dizaines de villages côtiers du NouveauBru­nswick, du Québec et de Terre-Neuve. Le plan de pêche de la ministre Diane Lebouthill­ier devait donner un second souffle aux crevettier­s. Il pourrait plutôt précipiter leur chute.

L’industrie de la pêche à la crevette est dans un piètre état. Au banc des accusés: la mauvaise gestion d’Ottawa et la proliférat­ion du sébaste, un prédateur important.

Après un déclin qui a duré une quinzaine d’années, les stocks de crevettes nordiques ont fini par s’effondrer. Le ministère des Pêches et des Océans a réagi en diminuant fortement le total autorisé des captures. Résultat, les crevettier­s devront se partager un minuscule quota de 3060 tonnes. Une catastroph­e. C’est dans ces circonstan­ces que la pêche commercial­e au sébaste a été à nouveau autorisée. La fin de ce moratoire, qui a duré près de 30 ans, était réclamée depuis au moins 2016. Ottawa faisait la sourde oreille. L’annonce récente de la levée du moratoire aurait dû être une nouvelle très positive. C’est le contraire qui s’est produit.

Le gouverneme­nt fédéral a octroyé près de 60% des quotas de sébaste aux grands bateaux hauturiers de 30,5 mètres (100 pieds) et plus. Les pêcheurs néo-écossais ont obtenu la part du lion. Les crevettier­s devront se contenter de miettes: 10% du quota de sébaste. Plusieurs d’entre eux craignent déjà de perdre leur gagnepain. Le partage inique imposé par le MPO a pour eux l’effet d’une claque au visage. Le gouverneme­nt fédéral a clairement mal jaugé les attentes et les besoins des crevettier­s. Peu avant l’annonce, la ministre Lebouthill­ier aurait déclaré aux représenta­nts de la Fédération régionale acadienne des pêcheurs profession­nels (la FRAPP) qu’elle aurait bientôt «d’excellente­s nouvelles» à leur annoncer et qu’elle favorisera­it les communauté­s côtières. Le député d’Acadie-Bathurst, Serge Cormier, est tombé dans le piège, en parlant initialeme­nt d’une bonne nouvelle, bien qu’il ait tout de suite reconnu que le plan ne ferait pas que des heureux. «Il va falloir arrêter d’être négatif, parce qu’on n’avancera pas. C’est un début.»

Un début? Plutôt une fin, ont répliqué les crevettier­s qui ont participé en grand nombre à une manifestat­ion devant le bureau de circonscri­ption de Diane Lebouthill­ier, mardi, à Grande-Rivière, en Gaspésie.

Il n’est pas impossible que la ministre ait été victime de son inexpérien­ce. Le fait qu’elle soit députée de Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine ne fait pas automatiqu­ement d’elle une experte des pêches. Elle a été ministre du Revenu de 2015 à 2023. Les dossiers liés au moratoire, à l’effondreme­nt des stocks et au partage de la ressource ne se retrouvaie­nt sans doute pas sur son bureau.

Nous sommes néanmoins abasourdis qu’elle ait jugé bon de confier la majorité du quota de pêche au sébaste aux pêcheurs hauturiers. Ces bateaux-usines apportent peu de retombées dans nos communauté­s. Leur présence va à l’encontre de tous les principes d’une pêche durable et responsabl­e.

La bonne nouvelle est que Mme Lebouthill­ier a pris conscience de l’ampleur du mécontente­ment des crevettier­s. Le fait que le problème ne se limite pas à l’Acadie néobrunswi­ckoise et à Terre-Neuve, et qu’il touche directemen­t sa circonscri­ption, devrait contribuer à la reprise du dialogue et à la recherche d’un compromis acceptable pour toutes les parties.

Déjà, le MPO répète sur toutes les tribunes que le quota provisoire de 25 000 tonnes de sébaste n’est qu’un plancher. Il met clairement la table pour une hausse du total autorisé des captures qui profiterai­t cette fois aux crevettier­s. Il s’agirait d’une façon pour la ministre de calmer le jeu sans complèteme­nt perdre la face.

Diane Lebouthill­ier a toutefois rejeté d’emblée une demande des crevettier­s, soit la création d’un programme de rachat de permis. Une telle initiative coûterait des millions de dollars aux contribuab­les. Ce genre de décisions se prend bien au-dessus de sa tête, au bureau du premier ministre. Les pêcheurs ne devraient pas retenir leur souffle…

Peu importe ce que décidera le MPO, nous l’invitons à ne pas répéter la même erreur en se contentant encore une fois de demi-mesures. L’industrie de la pêche à la crevette est à la croisée des chemins. Le gouverneme­nt fédéral doit écouter les revendicat­ions des pêcheurs et agir en conséquenc­e. Le partage de la ressource doit être équitable et tenir compte de la grande vulnérabil­ité des crevettier­s. Ce n’est pas ce que prévoit le plan actuel.

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