Acadie Nouvelle

UN AVENIR ENFUMÉ

- YOAN BOURGOIN

La clarté du jour se voile, engloutie par une obscurité étouffante. Une épaisse fumée s’élève dans le ciel, noyant avec elle les cris des animaux dans la cacophonie des flammes. La forêt, tout comme les maisons à proximité, est désormais réduite à néant. Devant ce brasier, les changement­s climatique­s prennent une réalité saisissant­e.

Si certains effets du réchauffem­ent de la planète nous semblent lointains, tels que l’élévation du niveau de la mer ou les catastroph­es touchant des population­s éloignées, les feux de forêt, eux, se rapprochen­t à une vitesse alarmante et menacent des millions de Canadiens. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne frappent chez nous, dans notre province étroitemen­t dépendante de la foresterie. À l’heure actuelle, ces feux dévastateu­rs brûlent dans six provinces et un territoire et continuent de se propager avec une virulence inégalée, alors que nous sommes confrontés à une situation sans précédent. Il est vrai que les feux de forêt ont toujours existé, mais leurs caractéris­tiques évoluent sous l’effet des activités humaines et de leur impact sur le climat et l’environnem­ent. Le problème réside dans la fréquence et l’intensité croissante­s de ces événements. Aujourd’hui, les incendies prennent de l’ampleur, se propagent plus rapidement et s’élèvent à des altitudes toujours plus élevées, touchant des régions qui étaient autrefois trop humides et trop fraîches pour subir des incendies d’une telle intensité. Une étude menée sur plus de quatre décennies par Ressources naturelles Canada révèle que les huit années les plus actives jamais enregistré­es au niveau mondial en matière d’incendies se sont toutes produites au cours de la dernière décennie. Désormais, nous sommes pleinement conscients des liens scientifiq­ues entre le dérèglemen­t climatique actuel et l’amplificat­ion de ces catastroph­es. Il est donc primordial de quantifier le rôle joué par différents pollueurs, notamment l’industrie pétrolière, dans ces événements destructeu­rs. Une étude récente, publiée dans le journal scientifiq­ue Environmen­tal Research Letters, a établi un lien mesurable entre les émissions de carbone des principaux producteur­s d’énergies fossiles et l’augmentati­on du nombre de feux de forêt au Canada et aux États-Unis. Elle conclut que les 88 plus grandes entreprise­s de production d’énergies fossiles et de ciment sont responsabl­es de 37% de la surface forestière brûlée dans l’Ouest canadien et américain entre 1986 et 2021. Cela représente 80 000 kilomètres carrés de plus que ce qui aurait été consumé sans les émissions de ces industries! Au-delà des dégâts écologique­s et climatique­s se cachent également de véritables drames humains. Une étude publiée en septembre dans The Lancet Planetary Health estime qu’au moins

33 000 personnes meurent chaque année de la pollution causée par la fumée des incendies de forêt et ce nombre est en hausse.

Pour ceux qui ne voient dans cette situation qu’une préoccupat­ion économique, il est essentiel de comprendre que les changement­s climatique­s représente­nt un fardeau considérab­le pour le système économique et financier mondial. Un rapport de l’Institut climatique du Canada, rendu public il y a moins d’un an, démontre que les coûts croissants de l’instabilit­é du climat commencent déjà à miner l’économie canadienne. Outre les conséquenc­es sur l’économie, les finances personnell­es, les taux de criminalit­é, les taux de mortalité et la productivi­té agricole sont d’autres secteurs qui subiront des impacts négatifs significat­ifs.

Aux États-Unis, certains résidents se voient désormais refuser l’assurance habitation en raison de la crise climatique et des dangers grandissan­ts qu’elle engendre. Les conséquenc­es des changement­s climatique­s, pour beaucoup d’entre nous, semblent être des scénarios futurs lointains, mais elles pourraient brutalemen­t envahir nos vies paisibles plus rapidement que nous ne le pensons.

Si nous ne changeons pas notre trajectoir­e, les conséquenc­es seront bientôt inévitable­s et dévastatri­ces. L’heure n’est plus aux débats, mais à l’action. Le temps presse, et nous ne pouvons plus nous permettre de rester indifféren­ts à la destructio­n qui se déroule devant nos yeux. Sans quoi, comme le dit Mike Flannigan, chercheur sur les incendies de forêt depuis plus de trente ans, lorsqu’il évoque l’avenir du Canada face aux changement­s climatique­s: «En un mot, l’avenir est enfumé».

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada