Fatigay de défendre son identité
Thomas Chassé
Edmundston
Vous est-il déjà arrivé de devoir prouver votre existence dans l’espace public? Quotidiennement? Pourtant, je crois bel et bien être en vie et je ne possède pas (malheureusement) la cape d’invisibilité d’Harry Potter.
Ceci paraît peut-être dans la section d’opinions, mais détrompez-vous: ce n’est pas une opinion en soi. Comme quoi ma réalité, et celles des personnes trans en Acadie, n’est pas à être débattue dans l’espace public. Parce que même une belle plume et des mots à 100$ n’arrivent pas à camoufler l’usage de sophismes, qui servent à propager de la mésinformation, le tout au détriment des personnes issues des minorités sexuelles et de genre.
Poser un regard critique sur une problématique pour laquelle vous ne semblez pas familier est en quelque sorte prétentieux. Inciter la prudence face à l’affirmation d’une identité trans dans le cadre d’une chronique ne peut qu’être néfaste. Sur le terrain, les spécialistes ont longtemps utilisé cette «prudence» comme prétexte de ne pas donner les soins nécessaires à la survie des personnes trans. D’autant plus, les personnes trans poursuivant un processus médical et/ou légal pourront vous le dire, les failles qui existent dans ces systèmes, les professionnels qui ne sont pas sensibilisés à ces réalités, le temps d’attente et la rigueur des suivis nécessaires pour entreprendre de telles démarches.
Des évènements de la fierté, comme Acadie Love, nous permettent de créer un espace inclusif afin de se rassembler et d’échanger afin que nous puissions trouver des solutions aux défis qui se présentent à nous, d’autant plus que la majorité d’entre nous se retrouvent dans des communautés plus isolées, plus rurales. Souligner une thématique telle la transidentité représente une victoire pour nous, les personnes trans! Nous pouvons enfin être entendu(e)s et partager notre histoire dans un milieu sécuritaire, sans craindre le regard des autres. Beaucoup de progrès se sont fait durant les dernières années, mais la bataille n’est pas terminée.
À mes 21 ans, je ne prétends aucunement connaître la réalité vécue par les minorités sexuelles et de genres dans les débuts du mouvement d’émancipation des personnes LGB, et je suis reconnaissant du travail effectué par les premières personnes militantes. Il existe une différence générationnelle, oui, mais les luttes s’apparentent et nous représentons tous un groupe qui fut longtemps marginalisé. À quoi bon se dire personne militante lorsque nous ne tentons même pas de saisir les réalités des gens de notre propre communauté, et de rabaisser ceux qui se défendent au nom de l’égalité?
Contrairement aux propos évoqués dans une chronique d’il y a quelques jours, la quête de son identité ne constitue pas d’une énigme, mais plutôt d’un processus: on se cherche, on se découvre et on évolue constamment. Mis à part le fait que c’est une façon très binaire de voir le monde, en quoi «des ados qui oscillent entre le masculin et le féminin, sans savoir comment résoudre cette énigme» vous impose problème dans votre vie de tous les jours? Puisque mon texte aborde la question trans, je m’épargnerai de commenter sur la façon dont vous abordez nous, «les jeunes». Bien qu’il consiste d’une composante importante de l’identité d’une personne trans, le genre n’est pas le seul aspect identitaire qui forme et qui définit un individu. Prudence! Le fait que notre identité ne cadre pas aux normes hétéronormatives et cisnormatives imposées par la société n’est pas pour autant synonyme d’incertitude. Nos différences ne réduisent pas notre valeur en tant qu’êtres humains, comme quoi nous méritons d’être respectés tels que nous sommes, de façon non apologétique (ça implique de respecter les pronoms d’autrui, ça).
Je suis fatigay de défendre mon identité. Ce n’est pas une énigme ou une quête, je ne joue pas à Zelda. C’est ma vie, je me connais. Je veux juste vivre et être respecté. Être libre.
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