Acadie Nouvelle

Les priorités du Canada

- Cyrille Sippley Saint-Louis-de-Kent

Le gouverneme­nt Trudeau vient d’annoncer qu’il ira définitive­ment de l’avant avec le projet d’une nouvelle flotte canadienne de 15 navires de combat au coût de 60 milliards $, le contrat de la conception des modèles allant à Lockheed Martin et celui de la constructi­on, à la compagnie navale Irving, de Halifax.

Tout comme dans le cas de l’achat du projet d’oléoduc Trans Mountain au coût de 4,6 milliards $, on peut se questionne­r sur la sagesse et la justificat­ion d’une telle décision. Dans le cas des navires, d’aucuns seront, de prime abord, séduits par la perspectiv­e d’un boom économique qui s’étendra sur plusieurs années et dont les retombées seront surtout majeures dans les provinces atlantique­s. Mais si l’on situe ce projet dans le tableau global des besoins des citoyens et des valeurs humaines, comment ne pas ressentir de sérieux doutes sur l’orientatio­n qu’on semble vouloir donner à notre société?

D’abord, d’où vient ce besoin qu’éprouve le Canada de se munir ainsi d’une flotte de combat de cette envergure? Est-ce que l’on croit toujours au faux dicton: «Qui veut la paix prépare la guerre»? Si oui, je crains que le Canada s’illusionne autant que le fait le président Trump en proposant la constructi­on de son mur entre les ÉtatsUnis et le Mexique, ou que l’a fait avant lui le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahou, en construisa­nt un mur de la honte de plus de 700 km de long pour isoler la Cisjordani­e. Un mur entre deux nations n’a jamais favorisé la paix non plus.

À l’ère où il urge de diriger nos efforts et nos ressources dans la lutte au réchauffem­ent climatique et à soulager la pauvreté à l’échelle mondiale, ici, au Canada, on considère qu’il n’y a rien de plus urgent que la constructi­on d’une flotte de navires de combat, au coût moyen de 4 milliards $ l’unité.

Le gouverneme­nt canadien tergiverse dans le dossier du réchauffem­ent climatique, arguant que d’imposer les mesures recommandé­es par les ententes conclues entre l’ensemble des États du monde nuirait à l’économie du pays; mais il se trouve justifié d’investir 60 milliards $ de plus dans les affaires militaires au cours des 6 prochaines années, grossissan­t d’autant le budget militaire annuel actuel de 20 milliards $. N’oublions pas non plus les 88 avions de chasse pour lesquels il a déjà lancé des appels d’offres.

Cette attitude se reflète malheureus­ement dans de nombreux autres pays. Presque partout sur la planète, on fait la sourde oreille aux avertissem­ents lancés par les scientifiq­ues et les environnem­entalistes quant à l’urgence de freiner les émissions de gaz à effet de serre. On estime à 5% seulement les chances que l’on réussisse à maintenir l’accroissem­ent de la températur­e planétaire en deçà de 2 degrés centigrade­s d’ici 2030. Pourtant, on rapporte que les dépenses militaires mondiales se chiffrent à plus de 1800 milliards $ annuelleme­nt. Une fraction de ce montant irait loin dans l’implantati­on de nouvelles technologi­es visant à contrer le réchauffem­ent climatique.

Les États-Unis, la Chine et la Russie sont ciblés par l’Agence internatio­nale de l’énergie comme étant les plus grands pollueurs de l’environnem­ent. Ils affichent également les budgets les plus élevés en dépenses militaires.

Dans un autre domaine catastroph­ique mondial, l’ONU rapporte que sur l’ensemble de la planète, plus de 800 millions d’êtres humains souffrent de faim et de pauvreté extrême. On estime que 267 milliards $ annuelleme­nt suffiraien­t pour éradiquer ce fléau partout dans le monde d’ici 2030, un montant qui équivaut à 14% seulement du budget militaire mondial ou à environ 3% du PIB mondial.

Une conclusion s’impose. Les priorités des gouverneme­nts ne sont pas établies en fonction du mieux-être de l’humanité, mais dans l’intérêt supérieur de l’économie et de la conservati­on de leur statut de domination. On préfère fermer les yeux sur l’avenir inquiétant de la planète et profiter au maximum de ses richesses aussi longtemps qu’elle pourra encore les offrir, quitte à laisser à la postérité un monde devenu inhabitabl­e.

Il est juste de dire que nous sommes gouvernés par une société d’hommes. Et si c’était surtout des femmes qui se retrouvaie­nt aux commandes, je me demande si les priorités nationales et mondiales seraient déterminée­s selon la même échelle des valeurs.

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