Acadie Nouvelle

La dimension bilingue de l’État

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Mercredi, jour du Souvenir, nous avons commémoré le sacrifice de milliers de soldats morts à la guerre. Il faudrait penser à instituer aussi un jour du Souvenir en hommage aux milliers d’hommes et de femmes qui ont lutté leur vie durant pour préserver le fait français, ici en Amérique.

Tous n’en sont pas morts, Dieu merci, mais tous ont eu à affronter des vicissitud­es de parias dans ce pays qu’ils ont pourtant largement contribué à explorer, à défricher, à construire.

L’histoire du Canada est si étroitemen­t liée à la survie du fait français dans cette partie de la planète qu’il est quasi incompréhe­nsible qu’un gouverneme­nt chargé de la lourde responsabi­lité constituti­onnelle d’assurer la protection des droits des francophon­es et la promotion de ces droits au Nouveau-Brunswick puisse du revers de la main se délester de cette responsabi­lité tout simplement parce qu’il n’en saisit pas la dimension historique et politique. Sans parler de sa dimension morale! C’est pourquoi tant de voix s’élèvent, depuis quelques jours, pour se porter à la défense de la commissair­e aux langues officielle­s du Nouveau-Brunswick, Katherine d’Entremont, vilipendée par le gouverneme­nt pour avoir osé s’acquitter avec courage et compétence du mandat spécifique qui lui a été confié à cet égard par l’Assemblée législativ­e de la province.

Il est tout simplement inconcevab­le que le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick puisse adopter une attitude aussi cavalière lorsqu’il est question des langues officielle­s dans la province. Franchemen­t, on ne parvient pas à trouver de motifs raisonnabl­es susceptibl­es d’expliquer cette politicail­lerie aussi pernicieus­e que déplorable.

On comprend facilement que les ministres du gouverneme­nt Gallant puissent manifester un intérêt plus spontané pour des questions telles que la constructi­on d’infrastruc­tures, l’exploitati­on des ressources naturelles ou la création d’emplois. Le développem­ent économique de la province en dépend.

On peut aussi comprendre aisément que des membres du Cabinet provincial aient des inclinatio­ns personnell­es plus prosaïques, tels que le bricolage, le skidoo, le hockey, la pêche ou le golf. On peut comprendre que certains ne portent pas nécessaire­ment d’intérêt soutenu envers les trucs liés aux arts et à la culture qui exigent un minimum de sensibilit­é esthétique, un mot qui fait si souvent peur quand il n’est pas associé aux coiffeuses et aux maquilleus­es, mais plutôt à cette branche de la philosophi­e qui s’intéresse à la notion du beau.

On peut comprendre qu’ils préfèrent aller à la chasse ou voir le dernier James Bond plutôt que lire le dernier roman d’Antonine Maillet.

Mais ce qu’on ne comprend pas, c’est qu’ils ne semblent pas plus conscients de l’importance de la responsabi­lité – responsabi­lité

constituti­onnelle, j’insiste – qu’ils ont de s’engager corps et âme dans le respect des droits linguistiq­ues des citoyens francophon­es du Nouveau-Brunswick.

La Loi sur les langues officielle­s n’est pas un buffet chinois. Les droits linguistiq­ues ne sont pas des bébelles qu’on trouve dans un Walmart.

La reconnaiss­ance des droits linguistiq­ues et de l’égalité des deux communauté­s de langues officielle­s ne vise pas seulement à régler des problèmes de «logistique linguistiq­ue».

Elle est surtout un vaste devis sociopolit­ique qui vise à propulser les citoyens des deux communauté­s linguistiq­ues vers un avenir capable d’assurer leur sécurité, leur dignité, leur créativité, leur épanouisse­ment et, en fin de compte, leur liberté.

C’est une sorte de devis de l’âme néobrunswi­ckoise, s’il y en a une. On ne joue pas avec ça.

En matière linguistiq­ue, les obligation­s législativ­es et constituti­onnelles dont le Nouveau-Brunswick a accepté de son plein gré d’assumer la responsabi­lité, sous l’impulsion de Louis J. Robichaud, transcende­nt absolument tout ce qui relève de la politique partisane, que ce soit les formations politiques ou leurs programmes électoraux.

Ces obligation­s ne répondent pas aux aléas de l’air du temps, elles ne sont pas tributaire­s des effets de mode, elles ne sont pas des éléments épars à prendre ou à laisser à la faveur d’une élection: elles sont un tout. Et surtout, elles sont inaliénabl­es. Ça, il faudrait que tout nouveau député qui entre en fonction, et à plus forte raison tout nouveau conseil des ministres, en soit dûment informé, avec explicatio­n, puisqu’il le faut, de ce que cela implique comme engagement personnel et gouverneme­ntal incontourn­able.

Que ce soit pour les garderies, les foyers de soins, les autobus scolaires, les ambulances, les mandarins ou les fonctionna­ires en contact direct avec les citoyens, ou tout autre domaine où interagiss­ent les citoyens et le gouverneme­nt, il n’y a (ou il ne devrait y avoir) absolument AUCUNE exception, AUCUNE tergiversa­tion, AUCUNE apologie possible quant au respect de la dimension bilingue de l’État face à ses commettant­s.

Et c’est justement pour protéger les citoyens contre l’arbitraire d’un gouverneme­nt ou de ses fonctionna­ires qu’il y a une commissair­e aux langues officielle­s.

Les ministres du gouverneme­nt devraient spontanéme­nt saisir cette réalité «transcenda­nte» lorsqu’ils sont appelés à intervenir dans toute affaire qui touche de près ou de loin à cette fameuse dimension linguistiq­ue bilingue qui dure et perdure au-delà de toute allégeance politique, de tout changement de gouverneme­nt, ou de toute orientatio­n socioécono­mique.

De la même manière qu’on ne change pas la capitale provincial­e au gré des caprices de tout nouveau gouverneme­nt, on ne peut pas adopter face à la dimension linguistiq­ue de la vie de la province des attitudes qui varient au gré des intérêts particulie­rs des gouverneme­nts.

Ce n’est pas pour rien que les droits linguistiq­ues des citoyens du NouveauBru­nswick sont enchâssés dans la Constituti­on du Canada: c’est pour en assurer la pérennité. Comme un coffre à bijoux, la Constituti­on est un écrin dans lequel on dépose les droits les plus précieux des citoyens.

En s’en prenant délibéréme­nt à la personne chargée de protéger ce précieux trésor, la Commissair­e aux langues officielle­s, le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick entache sa propre légitimité.

Pire que ça: il devient lui-même une menace à nos droits! Messieurs-dames du gouverneme­nt, de grâce, ressaisiss­ez-vous! Ou si vous préférez: Pull yourself together for God’s sake!

Han, Madame?

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- Archives De nombreuses voix s’élèvent, depuis quelques jours, pour se porter à la défense de la commissair­e aux langues officielle­s du Nouveau-Brunswick, Katherine d’Entremont, vilipendée par le gouverneme­nt pour avoir osé s’acquitter avec courage et compétence...
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