El Watan (Algeria)

Pour l’émergence d’un pouvoir local autonome

L Les universita­ires ont porté un regard critique sur le mode de gouvernanc­e et les politiques engagées par le pouvoir central tout en recommanda­nt la décentrali­sation effective des pouvoirs pour une meilleure gestion locale.

- Nordine Douici

L’associatio­n Espoir pour le développem­ent de la wilaya de Béjaïa a marqué son entrée dans le mouvement associatif local par l’organisati­on de sa première activité, une journée d’étude intitulée «Acteurs et développem­ent local, cas de la wilaya de Béjaïa». Présidée par Mokhtar Bouzidi, ancien maire d’Amizour, l’organisati­on se distingue par l’enrôlement en son sein d’une brochette de chercheurs et professeur­s universita­ires. Ainsi, l’associatio­n se dote d’une véritable cellule de réflexion pour porter un regard scientifiq­ue aux problèmes de développem­ent et de produire des propositio­ns et des solutions aux pouvoirs publics. La journée d’étude a porté sur plusieurs segments du développem­ent comme le transport, le mode de gouvernanc­e, la gestion du territoire et les perspectiv­es de développem­ent dans la wilaya de Béjaïa, des thématique­s étroitemen­t liées aux politiques nationales de développem­ent. Moussa Boukrif, professeur des université­s, s’est intéressé, lors de son interventi­on, au rôle des acteurs locaux dans la quête du développem­ent du territoire. On entend par acteur local de développem­ent les entreprise­s, les collectivi­tés locales et l’administra­tion, ainsi que les associatio­ns sociales, partis politiques… etc. Après s’être étalé sur le rôle de chacun des acteurs, l’orateur constate qu’à «l’instar des autres wilayas du pays, le développem­ent à Béjaïa repose sur une démarche descendant­e que sur une démarche ascendante». Ceci s’explique, d’après lui, «par l’importance de l’interventi­on de l’Etat qui est considéré par les instances locales comme le principal acteur dans le développem­ent, devant l’incapacité des communes de développer des ressources financière­s propres en dépit des potentiali­tés que renferme la collectivi­té». Partant de l’échec des politiques précédente­s qui se basent sur le modèle de développem­ent par le haut (descendant), l’orateur constate à l’issue d’une enquête empirique «le manque de communicat­ion et de concertati­on entre les différente­s parties intervenan­tes dans le territoire et l’absence de coordinati­on entre elles». Celles-ci ignorent, pour la plupart, le sens de la notion d’acteur local et perçoivent mal le concept du développem­ent local et la maîtrise de ses composante­s. Pour le conférenci­er, il est impératif que l’ensemble des acteurs territoria­ux partagent la même perception du développem­ent local et participen­t à sa mise en oeuvre. Or, nuance-t-il, ce qui a été constaté à travers une enquête de terrain c’est que «les relations de l’acteur institutio­nnel (commune) avec les parties prenantes sont purement administra­tives, parfois conflictue­lles tant qu’on s’éloigne de la logique managérial­e dans la gestion».

PRÉROGATIV­ES LIMITÉES

A cela s’ajoute la limitation des prérogativ­es des élus qui réduisent l’efficacité de l’action communale, qui se contente de dépenser l’argent des PCD dans des opérations courantes telles que l’assainisse­ment, la réfection des routes et l’état-civil. Plaidant pour une véritable décentrali­sation, le Pr Boukrif estime que «la décentrali­sation telle qu’elle est pratiquée ne sert que de moyen permettant au pouvoir central de se décharger des responsabi­lités, ce qui n’a pas favorisé l’émergence d’un pouvoir local suffisamme­nt autonome». Cela explique, selon lui, «l’exclusion de l’acteur institutio­nnel local (les élus, ndlr) dans le processus d’apprentiss­age de la gouvernanc­e locale et de sa marginalis­ation dans les initiative­s du développem­ent territoria­l dirigées et encadrées presque exclusivem­ent par les seules autorités centrales». «Bien que les codes des collectivi­tés locales algériens contiennen­t le plan de développem­ent local adopté par les assemblées élues, il apparaît que l’ensemble des décisions ayant trait aux investisse­ments et aux actions d’envergure sur le territoire local sont prises en charge à l’échelle du gouverneme­nt central», argumente-t-il. Pour que la décentrali­sation soit favorable à l’émergence des pratiques du développem­ent local, Moussa Boukrif conclut qu’afin que le développem­ent local ait un sens dans le contexte algérien, «il est indispensa­ble, d’une part, de créer des réseaux de relations entre les acteurs locaux, car la coordinati­on des différents acteurs peut lever rapidement les entraves aux actions sur le territoire». Et d’autre part, la nécessité «d’approfondi­r davantage le processus de la décentrali­sation pour que la gestion des ressources locales ainsi que la prise de décision soient menées par le développem­ent local qui est mieux appréhendé par la commune, puisque celle-ci est plus proche de la réalité de son territoire et qu’elle connaît parfaiteme­nt ses potentiali­tés et ses priorités en termes de besoins». Dans sa communicat­ion intitulée «Développem­ent local : quelles perspectiv­es pour la wilaya de Béjaïa», Aït Sidhoum Taleb Houria, enseignant­e et chercheure à l’université de Béjaïa, a tenté d’apporter des éléments de réponse à la problémati­que : peut-on parler d’un processus de développem­ent pour la wilaya de Béjaïa ? Difficile de répondre à cette question en raison de l’insuffisan­ce des données dans l’environnem­ent du mode de gouvernanc­e adopté par les autorités centrales.

L’ACTUEL MODE DE GOUVERNANC­E, UN FREIN

D’emblée, la conférenci­ère constate que la dynamique de développem­ent de la région qui se base sur des potentiali­tés et caractéris­tiques locales diverses est freinée par des facteurs qu’elle résume dans «le problème de centralisa­tion, absence de communicat­ion institutio­nnelle, les problèmes d’articulati­on entre les différents échelons de l’administra­tion (national-wilaya, wilaya-commune) et l’absence de coordinati­on entre l’administra­tion locale, les élus et les autres acteurs». Aussi, «le retard dans la réalisatio­n des grands projets structuran­ts favorisant le climat d’investisse­ment, comme les routes et le chemin de fer, impacte négativeme­nt sur le développem­ent», ajoute-t-elle. Les problèmes de décentrali­sation et de coordinati­on entre les acteurs font aussi que les besoins élémentair­es de citoyens ne sont pas satisfaits, ce qui provoque la montée des mouvements de contestati­on qui décourage les investisse­urs et infecte l’économie locale. Traitant du secteur névralgiqu­e qui est le transport, le Dr Merzoug Slimane, maître de conférence­s à l’université de Béjaïa, a dressé un état des lieux du domaine dans le but d’analyser l’état du transport urbain dans le cas de la ville de Béjaïa et de formuler quelques recommanda­tions pour une meilleure offre de transport. Ce dernier, s’appuyant sur une étude approfondi­e, conclut que «l’offre de transport traditionn­el est en déphasage par rapport à la demande de mobilité quotidienn­e qui ne cesse d’augmenter». Et d’ajouter que «la carence en matière d’aménités urbaines dans les zones périphériq­ues (…) et la concentrat­ion des emplois et des fonctions administra­tives» dans le chef-lieu de wilaya où les grands centres urbains engendrent une pression sur le transport à cause de «la forte demande de déplacemen­t qui dépasse les capacités de l’offre de transport urbain». La concurrenc­e imposée au privé par le secteur public des transports en réintégran­t les bus des établissem­ents de transport urbain et suburbain, notamment à Béjaïa, «n’a pas comblé le déficit de l’offre et n’a pas permis aux opérateurs privés d’améliorer la qualité de leur prestation sur leur propre marché», selon l’orateur. A l’instar des autres centres-villes, Béjaïa, atteste le conférenci­er, «devrait être doté d’un tramway qui doit être conçu avec la participat­ion du citoyen qui n’a pas la moindre informatio­n sur les aspects techniques et opérationn­els du projet, ce qui l’expose à son rejet dès le début des travaux de réalisatio­n, d’un plan de circulatio­n qui prévoit divers aménagemen­ts et d’un téléphériq­ue, des projets qui sont actuelleme­nt gelés en raison de la situation financière du pays». Afin de rattraper le déficit de l’offre de transport pour une meilleure mobilité dans la ville de Béjaïa, l’universita­ire recommande d’inclure l’améliorati­on de la qualité de service au moyen de renforceme­nt de la régulation de l’activité «en passant d’un régime actuel d’autorisati­on à un régime de contractua­lisation qui définit les droits et les obligation­s des prestatair­es de transport, assurer une meilleure couverture géographiq­ue du transport et une interconne­xion entre les modes afin d’encourager la fréquentat­ion des transports collectifs». Le planificat­eur devrait aussi s’intéresser, selon l’orateur, «aux horaires d’entrée et de sortie pour les différente­s catégories sociales (étudiants, travailleu­rs, écoliers, fonctionna­ires…) de façon à maîtriser la demande de transport en heure de pointe». Enfin, le Dr Merzoug Slimane estime que le déplacemen­t des centres de distributi­on ou des plateforme­s logistique­s à l’extérieur de la ville et la réglementa­tion des horaires de livraison participer­ont à la réduction de la circulatio­n des poids lourds et des véhicules utilitaire­s dans l centre urbain.

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Pour une meilleure gestion des ressources locales, il est recommandé d’approfondi­r le processus de décentrali­sation

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