Le prix de la dictature
L Déclenché en mars 2011, le mouvement de révolte syrien réclamait le départ du régime de Bachar Al Assad l Réprimé par Damas, il se transforme en guerre dévastatrice impliquant une multitude d’acteurs régionaux et internationaux ainsi que des groupes dji
Le 15 mars 2011, dans le sillage des révoltes qui ont touché moult pays arabes, un mouvement de protestation éclate en Syrie, gouvernée depuis 1970 par la famille Al Assad. L’actuel président Bachar a succédé, en 2000, à son père Hafez. Des velléités de contestation sont dispersées à Damas. Mais à Deraa (sud), la protestation prend de l’ampleur pour s’étendre ensuite à d’autres villes. Damas opte en la circonstance pour la répression.
Le 29 avril, Washington impose des sanctions économiques contre plusieurs responsables syriens, puis contre le président Al Assad en mai. Le 18 août, le président américain Barack Obama et ses alliés occidentaux appellent, pour la première fois, Bachar Al Assad à partir. En octobre, l’ambassadeur américain, Robert Ford, quitte la Syrie pour «raisons de sécurité». Damas rappelle son ambassadeur à Washington.
En juillet, un colonel déserteur syrien, réfugié en Turquie, crée l’Armée syrienne libre (ASL), composée de civils ayant pris les armes et de déserteurs de l’armée. La rébellion armée va progressivement conquérir d’importants bastions, notamment à Homs (centre) et Alep au nord. En septembre, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan (aujourd’hui président), dont son homologue syrien était encore un «ami» quelques mois plus tôt, déclare : «Le peuple syrien ne croit pas Al Assad, moi non plus.» «Je crains que les choses ne tournent à la guerre civile entre alaouites et sunnites». Se rangeant aux côtés des puissances occidentales, Ankara s’engagera dans une escalade verbale et diplomatique contre son voisin, avant de prendre des sanctions à son encontre. En octobre, après plusieurs réunions en Turquie, des opposants créent un Conseil national syrien réunissant les courants politiques opposés au régime. Fin 2012, la Turquie reconnaît la nouvelle Coalition de l’opposition en tant que «seule représentante légitime du peuple syrien». Côté régime, en mars 2012 à Homs, l’armée reprend le quartier rebelle de Baba Amr après un mois de siège. Plusieurs opérations ont été menées, notamment à Hama (centre), après des manifestations antirégime. En juillet, des rebelles lancent la bataille de Damas. Le gouvernement garde le contrôle de la capitale, mais des zones de sa banlieue tombent. Ainsi, le mouvement chiite libanais Hezbollah reconnaît en avril 2013 son engagement aux côtés d’Al Assad, issu de la minorité alaouite, une branche du chiisme. Il envoie des combattants en Syrie. L’Iran aussi appuie Al Assad.
En août 2013, une attaque chimique imputée au régime dans des zones rebelles près de Damas fait plus de 1400 morts, selon Washington. Le président américain, Barack Obama, qui en a fait une ligne rouge, renonce à des frappes punitives, et scelle avec la Russie un accord de démantèlement de l’arsenal chimique syrien. En juin 2014, le groupe Etat islamique (EI) proclame un «califat» sur de vastes territoires conquis en Syrie et en Irak. En septembre, une coalition internationale dirigée par Washington lance ses premières frappes contre l’EI en Syrie. Soutenues par cette coalition, des forces arabo-kurdes vont progressivement s’imposer face aux djihadistes, chassant l’EI de Raqa, puis s’emparant en mars 2019 de son ultime bastion syrien, Baghouz (est). En septembre 2015, Moscou entame une campagne de frappes aériennes en soutien aux troupes loyales, en difficulté. L’intervention permet à Damas de reprendre à la rébellion, notamment fin 2016, la totalité d’Alep avant de reconquérir la Ghouta orientale, près de Damas, en 2018.
Le conflit syrien implique des acteurs régionaux et les grandes puissances : Etats-unis, France, Russie, Iran, Qatar, Israël, Turquie, entre autres. A ces pays, s’ajoutent les Emirats arabes unis (EAU).
Fin 2018, les Emirats ont rouvert leur ambassade à Damas. Ils plaident depuis pour une réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe. En mars 2020, le prince héritier émirati, Mohammed Ben Zayed, a révélé via un twitter une conversation téléphonique avec le président syrien, Bachar Al Assad, la première depuis la rupture des relations diplomatiques entre Abou Dhabi et Damas en 2012. Sachant que le Congrès américain a adopté le 20 décembre 2019 la loi César entrée en vigueur le 1er juin, qui impose des sanctions à toute institution ou personne faisant affaire avec Damas. Ces pressions n’ont pas eu d’effet sur Abou Dhabi. Le 3 décembre 2019, alors que la loi était en discussion, le chargé d’affaires émirati à Damas, Abdul Hakim Al Nuaimi, s’est félicité de
Abou Dhabi a soutenu la révolte syrienne, d’autant que Damas est un allié
En avril 2017, une attaque au gaz sarin, imputée au régime, tue plus de 80 civils à Khan Cheikhoun (ouest). En représailles, le successeur d’Obama, Donald Trump, ordonne des frappes sur la base aérienne d’Al Chaayrate (centre). En avril 2018, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni mènent des frappes contre des positions militaires du régime en réaction à une attaque chimique près de Damas.
Le 9 octobre 2019, la Turquie, qui a mené depuis 2016 deux opérations dans le Nord syrien, profite d’un retrait américain pour lancer, avec des supplétifs syriens, une offensive contre des forces kurdes. L’opération permet à Ankara de s’emparer d’une bande frontalière de 120 kilomètres en territoire syrien.
En décembre 2019, le régime, appuyé par Moscou, lance une nouvelle offensive pour reconquérir Idleb (nordouest), ultime grand bastion djihadiste et rebelle. Une trêve décrétée en mars 2020, après un accord russoturc, met fin à l’offensive du régime. Aujourd’hui, la Syrie constitue le terreau de la tragédie humaine. Outre les quelque 5,6 millions de personnes qui ont quitté le pays, le dernier bilan des Nations unies fait état de 6,2 millions de déplacés internes. Dans son bilan publié début mars, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a indiqué que 12 000 enfants ont été tués ou blessés au cours de dix ans de conflit et que 90% des enfants en Syrie ont besoin d’une assistance, soit une hausse de 20% en un an. En parallèle, le prix du panier alimentaire moyen a augmenté de plus de 230%. Aussi, plus d’un demi-million d’enfants de moins de cinq ans vivant en Syrie sont atteints de retards de croissance à cause de la malnutrition chronique. Comme près de 2,45 millions d’enfants vivant en Syrie et 750 000 enfants syriens vivant dans des pays voisins ne vont pas à l’école ; 40% d’entre eux sont des filles. Plus de 5700 enfants ont été recrutés dans les combats, dès l’âge de sept ans pour certains d’entre eux. Entre-temps, plus de 1300 établissements d’enseignement et de santé et membres de leur personnel ont été la cible d’attaques. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basé à Londres, la guerre en Syrie a déjà fait plus 388 000 morts.
Amnay Idir
de l’Iran, rival des monarchies du Golfe. En 2014, le département américain du Trésor a annoncé l’inscription de la compagnie pétrolière émiratie Pangates International Corporation sur sa liste des entités sanctionnées. Il a indiqué que l’entreprise basée dans l’émirat de Sharjah est soupçonnée d’avoir livré du carburant à l’aviation militaire syrienne, alors que Damas est placé sous un régime de sanctions renforcées par l’Union européenne et les Etats-Unis depuis 2011. En été 2018, le ministre des Affaires étrangères émirati, Anwar Gargash, a estimé que suspendre la Syrie de la Ligue arabe a été Une enquête du site Middle East Eye, citée par le journal en ligne Orient XXI en juin 2020, a révélé que Mohammed Ben Zayed, dont le pays combat les Frères musulmans, aurait offert de verser 3 milliards de dollars (2,67 milliards d’euros) à Bachar Al Assad en échange d’une reprise des combats à Idlib, province syrienne frontalière de la Turquie, où règne un fragile cessez-le-feu à la suite d’un accord entre Ankara et Moscou.