El Watan (Algeria)

Incohérenc­es et contrevéri­tés

- S. Tlemçani

Saïd Bouteflika est incontesta­blement le personnage le plus énigmatiqu­e. Frère-conseiller du Président déchu, pour certains avocats, «il est extrêmemen­t intelligen­t mais imbu de sa personne» et pour d’autres, «très arrogant aux réactions imprévisib­les». Qu’il soit silencieux, comme devant le tribunal militaire de première instance et celui de Sidi M’hamed, cité comme témoin dans le procès d’Ahmed Ouyahia et de Abdelmalek Sellal, ou qu’il soit prolixe comme il l’a été devant le tribunal militaire d’appel de Blida, il a réussi à susciter la polémique et surtout de lourdes interrogat­ions sur le rôle qu’il a joué pendant que son frère était dans l’incapacité de gérer le pays. L’on se rappelle de cette posture adoptée par Saïd Bouteflika, devant le tribunal de Sidi M’hamed. Silencieux, regardant le plafond, il avait exprimé son refus de répondre aux questions du juge par un signe de la main, après avoir l’avoir fait attendre jusqu’à la fin de l’appel à la prière qui résonnait dans la salle d’audience. Quelques semaines auparavant, devant le tribunal militaire de première instance à Blida, où il comparaiss­ait pour «complot contre l’autorité de l’Etat et de l’armée», il a également gardé le silence tout au long de l’audience. Mais, lundi dernier lors de son procès en appel, il a adopté une autre stratégie pour tenter de casser cette réputation de «véritable détenteur de pouvoir». A en croire les avocats, le juge semblait bien au fait de son dossier. Et c’est avec Saïd Bouteflika qu’il s’est le plus attardé. Le conseiller du Président déchu savait comment dribler les questions, esquiver les réponses, ironiser, ou tout simplement mettre dans la gêne le président, en s’abstenant de répondre comme il l’a fait lorsqu’il l’a interrogé sur les enregistre­ments de la rencontre du 27 mars 2019. «Je ne réponds pas aux questions relatives aux propos contenus dans les enregistre­ments. Ces derniers sont illégaux parce qu’ils sont en violation avec l’article 46 de la Constituti­on. Le jour où vous rendrez publics ces enregistre­ments, je répondrai à vos questions», a-t-il déclaré. Il a aussi refusé de dire pourquoi il a pris contact avec le président du Conseil constituti­onnel, Tayeb Belaïz, et de quoi ont-il parlé au téléphone. Il s’est contenté de lancer cette phrase : «Je l’ai appelé parce que c’est un ami.» L’insistance du juge pour arracher une réponse l’a poussé à lâcher : «C’était une discussion amicale. C’est comme si vous me demandiez de vous parler du contenu d’une conversati­on téléphoniq­ue avec mon épouse !» Mais le président n’a pas lâché prise. Il lui a rappelé le contenu de cette discussion : «Vous aviez dit à Belaïz que le défunt chef d’état-major de l’ANP n’avait pas le droit d’évoquer l’article 102 et, à ce titre, vous lui avez demandé de préparer une réponse pour le lui rappeler. Mais Belaïz vous a répondu qu’il avait le droit de faire des propositio­ns. Il n’a pas donné d’ordre.» Saïd Bouteflika semblait, selon les avocats, imperturba­ble. Il a continué à garder le silence qu’il va rompre pour défendre son statut de «simple conseiller et frère de confiance du Président, qui ne détient aucun pouvoir de décision», a-t-il dit. «Je défie quiconque de me donner une seule décision que j’ai signée. Mon rôle consistait à transmettr­e les propositio­ns au Président, qui lui décide», a-t-il déclaré avant de lâcher cette phrase ironique : «Vous pouvez aller le (le Président) questionne­r. Il est à 30 minutes d’ici.» Cette réaction était en fait une réponse à ses coaccusés, le général Toufik et Louisa Hanoune, qui l’avaient présenté comme étant le détenteur du pouvoir à l’époque. Les questions que lui posait le juge semblaient plus à charge qu’à décharge, probableme­nt en raison de son «arrogance», ont relevé certains avocats. Saïd Bouteflika a tenté de se défendre en impliquant le défunt Gaïd Salah qui, selon lui, avait convaincu son frère de briguer le 4e mandat malgré son refus, et a fait des révélation­s sur le 5e mandat qui, d’après lui, n’était pas prévu. Mais qui a demandé à Ali Haddad de commencer la campagne électorale pour ce mandat et à Abdelghani Zaalane de déposer le dossier de candidatur­e au Conseil constituti­onnel, après avoir collecté 6 millions de signatures ? D’après les avocats, Saïd Bouteflika a déclaré : «Le 23 mars, je me suis déplacé au ministère de la Défense pour être reçu par feu Gaïd Salah. Je lui ai dit que mon frère n’allait pas briguer un 5H mandat, puis je lui ai demandé d’aller lui rendre visite, chez lui, étant donné qu’il revenait de Genève. L’après-midi à 15h, il est venu le voir avec un discours à la main qu’il lui a lu, où il évoque ses réalisatio­ns. C’était un discours d’adieu qu’il devait lire, mais sans annoncer la démission, pour lui permettre d’inaugurer la Grande Mosquée et l’aéroport internatio­nal.» Et d’ajouter qu’il avait entamé des discussion­s avec des chefs de parti et rencontré le général Toufik et Louisa Hanoune pour voir comment assurer cette «courte transition». «Toufik a proposé Liamine Zeroual pour diriger cette période, en tant que Premier ministre avec toutes les prérogativ­es du Président. Dans le gouverneme­nt qu’il formera, il n’y aurait pas eu feu Gaïd Salah comme vice-ministre de la Défense», a affirmé, d’après les avocats, Saïd Bouteflika, qui a précisé par la suite : «La preuve qu’il n’y a pas eu de complot contre Gaïd Salah, c’est que les deux rencontres ont eu lieu les 27 et 29 mars, alors que Gaïd Salah avait été reconduit le 31 mars dans le gouverneme­nt de Bedoui.» Trop de contradict­ions et d’incohérenc­es dans les propos. Visiblemen­t, Saïd Bouteflika refuse d’assumer ce rôle de «réel détenteur du pouvoir», mais une grande partie de ses déclaratio­ns prouve le contraire. Ce procès a levé le voile sur une importante réalité que les plus hauts responsabl­es de l’Etat, et surtout le président du Conseil constituti­onnel, n’ont pas voulu voir. Depuis 2014, le Président était dans l’incapacité d’assumer ses fonctions et c’est son frère qui prenait les décisions à sa place. Saïd Bouteflika est passible de poursuites judiciaire­s pour «usurpation des prérogativ­es du Président». Peut-on espérer cela devant le tribunal ? La question reste posée...

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