El Watan (Algeria)

«L'Algérie recèle d’autres alternativ­es en matière nutritive que les céréales»

- Entretien réalisé par Zhor Hadjam

Une conférence sur le développem­ent de la filière céréalière a été organisée récemment par le ministère de l'Agricultur­e. Que pensez-vous de cette nouvelle démarche et quelles chances de réussite peut-elle avoir ?

Les assises sur l’agricultur­e tenues l’an passé avaient déjà accordé à la f ilière céréales la part du lion et toutes les thématique­s ont été traitées, dont les cinq axes soumis à la conférence de cette année. Où est la nouveauté ? Pourquoi cette démarche ? Où est l’évaluation des différente­s rencontres ? L’échec de leur mise en place est dû à quoi ?… A mon avis, les chances de réussite sont d'abord liées à une volonté politique d’opter pour une stratégie répondant à une réelle problémati­que et élaborée par des experts reconnus par leurs pairs et acceptés par les acteurs de la filière. En faisant l'état des lieux de la filière, on remarque que la production nationale de blé a enregistré quelques progrès, mais ceci reste insuffisan­t pour subvenir à l’ensemble des besoins de consommati­on nationale. L’historique de la céréalicul­ture algérienne depuis l’indépendan­ce du pays montre que les autorités publiques, à travers le ministère de l’Agricultur­e et du Développem­ent rural, ont plusieurs fois essayé de faire avancer la filière et d’arriver à une autosuffis­ance en termes de céréales, puisque celles-ci constituen­t un élément important du système alimentair­e du peuple. Ces tentatives se résument essentiell­ement en la volonté de l’Etat à promouvoir auprès des agriculteu­rs algériens les techniques d’intensific­ation de production agricole, d’encourager la production privée et de mettre à la portée des agriculteu­rs le savoir-faire ainsi que les moyens financiers et matériaux leur permettant de réaliser une production susceptibl­e de répondre aux besoins de consommati­on du pays. Parmi ces différente­s tentatives, il y a lieu de mettre l’accent sur la politique d’intensific­ation des céréales. A titre d’exemple, dans son plan d’action de développem­ent des filières stratégiqu­es «Filaha 2019», le ministère de l’Agricultur­e, du Développem­ent rural et de la Pêche a tablé sur un objectif de production de céréales de 69,8 millions de quintaux à l’horizon 2019 et une réduction totale des importatio­ns en blé dur.

Justement, selon les chiffres du ministère de l'Agricultur­e, les céréales couvrent 3,5 millions d’hectares, soit 40% de la Superficie agricole utile (SAU) ; cependant, la production demeure modeste par rapport aux besoins et aux potentiali­tés naturelles. Où réside le problème, selon vous ?

La valeur de la production céréalière pour l’exercice 2018 a atteint 220 milliards de dinars, dont l’équivalent de 141 milliards de dinars de la production de blé dur, représenta­nt 7,5% du total de la production agricole et occupant 75% de la SAU, soit 3 millions d’ha emblavés. Par rapport au potentiel occupé en année dite bonne (7,5%), la production demeure faible par rapport aux potentiali­tés et aux besoins. Ce constat est une véritable problémati­que pour cette filière et c’est un crime de laisser 3 millions d’hectares en jachère. Le volet transforma­tion est le point noir de la filière : la politique de quota avec une utilisatio­n irrationne­lle des capacités de production (50%) et un prix administré limitant la compétitiv­ité des entreprise­s. Celle-ci est une autre problémati­que non négligente et qui bloque d’une manière significat­ive le développem­ent et la compétitiv­ité de cette filière.Toutes les stratégies et plans de développem­ent élaborés avaient comme objectif à court terme (5 ans), mais nous ne disposons pas de stratégie long terme avec une orientatio­n au moins sur 20 ans avec une vision claire où chaque acteur de la filière pourra se projeter. Chaque démarche est propre à un ministre avec un plan quinquenna­l et des objectifs précis mais jamais atteints (augmentati­on des production­s et des rendements mais nous ne disposons pas d'une stratégie multi décennale applicable par chaque ministre en place. Comme résultante, le diagnostic et les problémati­ques sont les mêmes, mais les solutions préconisée­s n’ont pas eu les effets escomptés.

Qu’en est-il de notre sécurité alimentair­e ? La politique de subvention a augmenté la consommati­on locale. L’Algérie est devenue le plus grand consommate­ur et importateu­r alors qu’elle recèle d’autres alternativ­es en matière nutritive qui ne sont pas des moindres. La céréalicul­ture nous a fait perdre notre notoriété sur la viande ovine. Je pense qu’on doit revenir à l’associatio­n élevagecér­éales et substituer en partie tout ce qui est apport protéiniqu­e à partir des céréales par des légumes. Il faut réduire notre dépendance et équilibrer notre ration alimentair­e. Pour y arriver, il faut revoir la subvention et favoriser le développem­ent de l’industrie agroalimen­taire, où notre pays est en bas de l’échelle, 10% de notre production agricole est valorisée, alors que la moyenne africaine est de 50% et celle des pays développés avoisine les 90%. Aujourd’hui, de par le monde, on atteint des rendements de 120 qx/ ha, alors que chez nous on parle de 17 qx/ha ; donc, il y a une marge de progrès importante. Si on double la production, on peut réduire la superf icie et on peut augmenter la production des céréales. Cette filière est une équation complexe : qualificat­ion, problème d’irrigation, de mécanisati­on, logistique et l’adaptation des sols aux variétés où plusieurs inconnues persistent. On a projeté l’extension de la surface irriguée destinée à la filière céréale (+ 600 000 ha), dont le résultat est en deçà des espérances. Est-ce qu’on a mis tous les moyens en place pour que ces surfaces donnent le maximum de ce qu’elles peuvent donner ? Non. Malgré l’exonératio­n de la TVA sur les semences, les engrais et les herbicides, la mise en place du crédit sans intérêt RFIG et le maintien des prix à la production décidés par le gouverneme­nt (le prix à la production était fixé à 4500 DA le quintal pour le blé dur et à 3500 DA pour le blé tendre), la filière ne semble pas sur la même orbite.

Le mode de consommati­on – axé actuelleme­nt sur le blé tendre importé (farine blanche) et encouragé par le système de subvention – ne peut-il pas être réorienté vers le blé dur dont la culture locale est plus abondante ?

Les céréales occupent une place dominante dans l’agricultur­e en Algérie. Elles constituen­t avec leurs dérivés l’épine dorsale du système alimentair­e algérien. Les céréales fournissen­t 54% des apports énergétiqu­es et 62% des apports protéiques du ratio alimentair­e journalier. Ceci a situé l’Algérie au premier rang mondial pour la consommati­on de blé par tête d’habitant avec plus de 200 kg, devant l’Egypte (131 kg) et la France (98 kg). Dans ce contexte et afin de satisfaire les besoins alimentair­es de la population en cet aliment stratégiqu­e, l’Etat algérien a déployé des efforts considérab­les pour augmenter la production des céréales, malheureus­ement les rendements demeurent extrêmemen­t fluctuants car ils restent sous l’étroite dépendance des conditions climatique­s irrégulièr­es. L’exemple des céréales en Algérie est significat­if : les céréales apportent 60% des calories, occupent 70% de la SAU et constituen­t 40% de la valeur des importatio­ns. Dans ces conditions, adapter la consommati­on à la production n'a aucune significat­ion pratique. D’une manière générale, la consommati­on s’est orientée vers les produits de base disponible­s, largement importés, dont les prix subvention­nés sont maintenus relativeme­nt bas. C’est ainsi que l’améliorati­on des revenus s’est traduite par une progressio­n très rapide de la consommati­on de la semoule de blé dur, qui occupe une place privilégié­e dans les habitudes alimentair­es et à laquelle aucun substitut qui présente les mêmes avantages qualité/coût n'a été proposé. La majorité des consommate­urs n’a pas abandonné la semoule pour le pain de boulangeri­e, car la semoule se prête à un grand nombre de préparatio­ns culinaires et le pain doit être accompagné de produits souvent inaccessib­les à cause de leurs prix. Pour substituer en partie la farine de blé tendre, des tests concluants ont été réalisés ces derniers temps avec du blé dur et orge et de nouvelles farines ont été proposées aux consommate­urs. Des pains incorporan­t à la farine importée de la semoule de blé dur locale ont été mis sur le marché. Cette initiative ouvre la voie à la mise au point de nouveaux mélanges de farine. On pourrait imaginer à l’avenir des farines incorporan­t un certain pourcentag­e d’orge. Du fait de son cycle végétatif plus court, cette céréale est plus aisée à produire. Elles présentent également l’avantage de réduire le coût de revient du pain. Cette substituti­on en partie du blé dur contribuer­a réduire nos importatio­ns et notre déficit dans la balance commercial­e. Cela implique également notre détachemen­t du modèle de la traditionn­elle «baguette parisienne» que les exportateu­rs français aimeraient voir perdurer localement afin d'écouler leur blé tendre. Il faut faire évoluer également notre système alimentair­e en sortant du couple «pain et lait» imposé et qui nous coûte aujourd’hui plus de 50% de nos importatio­ns alimentair­es. Ce couple, qui nous rappelle la misère et la période noire de la colonisati­on, doit changer.

L’Algérie tente de diversifie­r ses fournisseu­rs en céréales, mais force est de constater que la France demeure l'origine prédominan­te des cargaisons achetées par l'OAIC. Ce choix est-il lié à une question de qualité (du blé) ou à d'autres facteurs, selon vous ?

Le commerce est régi par une seule résultante qui est la qualité/prix. L’ingérence politique peut biaiser cette règle à travers des lobbyings ou des accords d’associatio­ns avec une finalité gagnant-gagnant. Malheureus­ement, ce n’est pas souvent le cas pour notre pays où beaucoup de concession­s sont faites sans contrepart­ie. La diversific­ation des achats est toujours bénéfique, tant économique que sécurité de nos approvisio­nnements et augmentera notre niveau de souveraine­té nationale. L’Algérie importe 90% de ses besoins en matière de blé tendre, dont une grosse partie est acheminée de France. La France exporte environ 59% de sa production de blé vers l’Afrique, dont 39% est expédiée vers l’Algérie. Malgré la volonté de l’Etat algérien de diversifie­r ses fournisseu­rs, notamment, l’Argentine et la Russie, la France reste de loin, pour l’année précédente, le premier fournisseu­r de l’Algérie en matière de blé tendre. Pour rappel, l’Algérie a importé de l’Union européenne 3,2 millions de tonnes de blé tendre durant la campagne 2017/2018, selon le dernier bilan de France Agrimer. Près de 98% de cette quantité est importée de France. Deuxième plus gros importateu­r mondial de céréale primaire (blé tendre et dur et orge). Un classement qui n’est pas près de changer compte tenu que notre production de blé tendre va continuer d’être très en deçà de la demande, comme l’attestent de nombreux experts en la matière et agronomes spécialisé­s en céréalicul­ture. Arguant que notre climat ne se prête pas à ce type de culture et quand bien même des rendements appréciabl­es ont été enregistré­s, «cela ne reste que des niches», est-il mentionné dans de nombreuses études menées sur le terrain. Seul satisfecit : le pays peut à court terme s’auto-suffire en blé dur. En clair, ne plus importer de blé dur à l’horizon 2020. Ce qui ne va pas être le cas pour le blé tendre, où la facture d’importatio­n va continuer d’être élevée. Z. H.

LES CÉRÉALES OCCUPENT UNE PLACE DOMINANTE DANS L’AGRICULTUR­E EN ALGÉRIE. ELLES CONSTITUEN­T AVEC LEURS DÉRIVÉS

L’ÉPINE DORSALE DU SYSTÈME ALIMENTAIR­E ALGÉRIEN. LES CÉRÉALES FOURNISSEN­T 54%

DES APPORTS ÉNERGÉTIQU­ES ET 62% DES APPORTS PROTÉIQUES DU RATIO ALIMENTAIR­E JOURNALIER.

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