Quand l’ex-wali octroyait des projets de gré à gré
Autres temps, autre moeurs. Plusieurs hauts responsables de la wilaya de Boumerdès qui, jadis, signaient sans coup férir faisant de la corruption une règle de gestion, changent subitement de méthodes et se montrent plus rigoureux que la justice. En attendant les conclusions des enquêtes enclenchées sur les affaires mettant en cause les gros bonnets, l’opinion publique locale est déjà ahurie par les nouvelles – bonnes ou mauvaises – qui dénotent les écarts de gestion d’actuels ou d'anciens commis de l’Etat. Il y a quelques jours, des sources sûres ont fait état de l’annulation de 75 marchés publics qui ont été octroyés de gré à gré par l’ex-wali Mohamed Salamani. Des marchés qui concernent la réalisation de CEM, d’écoles primaires, de stades, de projets d’éclairage public, etc. La décision du comité des marchés a suscité l’ire de nombreux chefs d’entreprise qui ont été priés d’évacuer illico presto les chantiers alors qu’ils attendaient avec impatience le versement des situations des travaux réalisés. Pour tenter de donner une couverture légale à ses décisions de recourir au gré à gré, le wali a invoqué l’article 12 du code des marchés publics. Or, cette disposition est claire comme de l’eau de roche. Elle limite le
recours à la procédure de gré à gré «en cas d’urgence impérieuse motivée par un danger imminent que court un bien ou un investissement déjà matérialisé sur le terrain ou un péril menaçant un investissement, un bien du service contractant ou l’ordre public, et qui ne peut s’accommoder des délais des procédures de passation des marchés publics…». En effet, en quoi la réalisation de stades de proximité, dont une dizaine est attribuée à une entreprise privée, est une urgence impérieuse. Aussi, le wali avait ordonné l’octroi d’un projet d’éclairage public d’un coût de 160 millions de dinars à Madi light, filiale de l’EPIC de wilaya Madinet, laquelle a aussitôt fait appel aux sous-traitants pour honorer ses engagements. Aussi, trois CEM et un lycée ont profité à des entreprises privées, tandis que plusieurs écoles primaires ont été confiées à l’entreprise publique Cerib. Pour ces derniers projets, la démarche de gré à gré est motivée par le souci de réduire la tension que connaît le secteur en raison du manque de places pédagogiques. C’est l’avis même du gérant de l’entreprise, Ali Fergani, qui se dit indigné par la décision du comité des marchés. «J’ai été chargé de réaliser un CEM à Corso pour un montant de 25,8 milliards de centimes. Les autorités ont convoqué les meilleures entreprises de la wilaya pour que les établissements soient achevés dans les meilleurs délais. Auparavant, il y a eu un avis d’appel d’offres. Le montant du moins disant était 31 milliards de centimes. C’est dire que mon entreprise n’a pas été favorisée», dira-t-il, ajoutant avoir réalisé 34% du projet en l’espace de 70 jours. «On a mobilisé 90 employés sur le chantier. On allait terminer avant les délais, fixés à neuf mois», a-t-il ajouté. Notre interlocuteur se demande pourquoi les marchés octroyés de gré à gré dans les autres wilayas ont été approuvés sauf ceux de Boumerdès. Pour un autre entrepreneur, n’était le hirak, le problème ne se serait jamais posé, soulignant que certains responsables craignent de signer même les simples décisions. Mais cela ne doit pas pour autant justifier le recours de manière injustifiée au gré à gré. Cette procédure, qui doit être l’exception, a fini par devenir une règle sous l’ère Bouteflika. Dans une récente contribution à El Watan, Djilali Hadjadj a souligné que Bouteflika «a fait main basse sur le code des marchés en le modifiant, toute honte bue, pour y introduire le gré à gré (GAG) à sa guise : il en fera usage, pour ne pas dire en abusera, 15 longues années durant». Pour lui, «derrière la mise en avant de groupes publics pour l’attribution de ces GAG, donc théoriquement présentant un faible risque de corruption, se cache la pratique de la sous-traitance systématique avec des entreprises étrangères, souvent choisies parmi ''les copains et les coquins'' ! L’ensemble des marchés publics attribués au gré à gré et sans consultation – la liste plus haut n’est pas exhaustive – représente en termes de coût des centaines, voire des milliers de milliards de dinars, montant faramineux distribué sur décision et sous la responsabilité du chef de l’Etat, par le seul fait du prince, en préparant et en adaptant le code des marchés pour ce faire, explique en partie l’étendue de la corruption qui a prévalu ces 20 dernières années. Beaucoup de ces GAG ont été attribués à nombre d’oligarques qui se retrouvent aujourd’hui en prison dans l’attente de leurs procès. Quand la justice sera indépendante, quand l’Algérie aura enfin un gouvernement issu d’élections non corrompues et qui fera de la lutte contre la corruption une de ses priorités, tous ces GAG referont surface dans des tribunaux libres de toutes contraintes et de toutes pressions».