La crise s’installe entre le Japon et la Corée du Sud
Les querelles historiques ont fini par déteindre sur les relations entre le Japon et la Corée du sud Tokyo et Séoul se sont mutuellement retirés de leurs listes des partenaires de confiance Une mauvaise nouvelle pour Washington qui compte sur les deux pay
Rien ne va plus entre le Japon et la Corée du Sud. Les deux pays se sont infligés vendredi des restrictions commerciales réciproques, dans un contexte régional marqué par la reprise par Pyongyang de ses tirs de missiles. Tokyo a d'abord décidé de rayer la Corée du Sud d'une liste d'Etats bénéficiant d'un traitement de faveur, mesure perçue comme une sanction par Séoul qui a répliqué par une radiation similaire et menacé de ne pas reconduire un accord de partage de renseignements militaires. Le ministre nippon du Commerce et de l'Industrie, Hiroshige Seko, a indiqué que la disposition japonaise prendra effet le 28 août.
La tension entre Tokyo et Séoul a un rapport avec l'occupation coloniale de la péninsule coréenne par le Japon (1910-1945). Cette séquence historique, effroyable pour les Coréens, empoisonne les relations entre les deux pays, surtout depuis que les Sud-Coréens réclament justice et réparations. Le gouvernement japonais qui, rappellent les historiens, «ne veut pas reconnaître et assumer ses crimes coloniaux», est furieux que des tribunaux sud-coréens aient exigé d'entreprises japonaises qu'elles dédommagent des SudCoréens qui avaient été forcés de travailler dans leurs usines durant l'occupation japonaise jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
LEVIER ÉCONOMIQUE
Pour essayer de contraindre au silence son voisin, Tokyo a décidé de faire jouer le levier économique. Le choix n’est pas fortuit puisque le Japon sait à quel point l’économie sud-coréenne est dépendante de ses grandes firmes. Pour faire plus mal, le gouvernement japonais a ainsi pris la décision de dégrader la Corée du Sud de la catégorie des Etats A (exemptés de procédures d'autorisation pour acheter des produits sensibles de fabricants japonais) à celle des Etats B (autorisation spéciale obligatoire). Le Japon signifie ainsi que son voisin n'est pas fiable et qu'il faut s'assurer avant d'exporter qu'il ne va pas utiliser à des fins détournées (militaires notamment) les matériaux et équipements venant du Japon. Autrement dit, Séoul aura des marchandises au compte-gouttes.
«Il s'agit simplement d'une révision de la liste des pays de confiance, nécessaire dans le cadre d'une gestion appropriée du contrôle des exportations, pour la sécurité nationale», a justifié M. Seko, niant qu'il s'agisse d'une sanction. Mais pour tous les observateurs, «il s’agit bien d’une sanction». Ils rappellent à ce propos que «le Japon avait déjà décidé début juillet de lever l'exemption de procédure pour trois produits chimiques nécessaires, entre autres, à la fabrication de smartphones et de téléviseurs, une décision très pénalisante pour les géants de l'électronique sud-coréens comme Samsung et LG Electronics». Une décision prise au moment même où la justice sud-coréenne a interpellé Tokyo sur ses crimes coloniaux.
Dans la foulée, une exposition au Japon présentant une oeuvre d'art sud-coréenne controversée sur le thème des esclaves sexuelles de l'armée impériale nippone a été annulée sine die. Intitulée «Après la liberté d'expression ?», l'exposition était programmée pour durer deux mois et demi. Etait notamment exposée la statue d'une fille en habit traditionnel coréen assise sur une chaise, qui est une oeuvre devenue le symbole des souffrances des femmes réduites à l'esclavage sexuel par l'armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.
L’ARBITRE AMÉRICAIN
A Séoul, le gouvernement a rapidement compris le message. Il a réagi en retirant le Japon de sa «liste blanche» des partenaires commerciaux privilégiés. Ce qu'a fait Tokyo «sape fondamentalement la relation de confiance et de coopération que les deux pays ont établie», a accusé le ministre sudcoréen des Finances, Hong Nam-ki. Le président sud-coréen, Moon Jaein, a fustigé «cette action égoïste (qui) infligera des dégâts énormes à l'économie mondiale en perturbant la chaîne internationale des approvisionnements», et enjoint au Japon de «revenir dès que possible sur ses mesures unilatérales et injustes et dialoguer».
Cette escalade est intervenue alors que les ministres des Affaires étrangères des deux pays, le Japonais Taro Kono et la Sud-Coréenne Kang Kyung-wha, étaient réunis à Bangkok autour du chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, qui avait dit vouloir les aider à trouver une issue à la crise. Les trois dirigeants sont apparus devant les caméras dans une ambiance glaciale, sans dire un mot et sans même se serrer la main. La réunion «s'est bien passée», a toutefois assuré un haut responsable américain, estimant que sa simple tenue démontrait la volonté de «trouver une solution». «Si cette relation se détériore», «les intérêts des Etats-Unis sont également en jeu», a-t-il prévenu, Séoul et Tokyo étant des alliés-clés de Washington en Asie.